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14/10/2021
Le Spectre de Frankenstein d’Erle C. Kenton, par Francis Moury
Résumé du scénario
Igor a survécu et les villageois décident d’en finir avec lui en attaquant à l'explosif les ruines du château. Un éboulement souterrain lui permet de découvrir la créature prisonnière du soufre séché dans lequel elle avait été noyée : elle est encore vivante mais mal en point. Ils fuient tous deux vers la région où vit Ludwig von Frankenstein (fils d’Henrich et donc frère de Wolf) qui est médecin (comme Wolf tandis que Henrich avait quitté l'université avant d'obtenir son diplôme, déçu par ses professeurs). Leur arrivée réveille de sombres souvenirs. La fille et le futur beau-fils (un procureur) du baron Ludwig ignorent l’histoire tourmentée de sa famille dont il a récupéré les archives scientifiques. Igor pourchassé par la police menace Ludwig de tout leur révéler s’il ne guérit pas la créature. Il exige bientôt que son propre cerveau, intelligent mais pervers et dominateur, soit transplanté dans le corps puissant du monstre afin de donner naissance à un surhomme. Frankenstein refuse mais l’idée intéresse son assistant, le Dr. Boehmer.
Critique
Le Spectre de Frankenstein [The Ghost of Frankenstein] (États-Unis, 1942) de Erle C. Kenton est une variation très riche dans le cadre du cycle Universal de 1931-1948.
Kenton avait déjà réalisé un classique de l’âge d’or du cinéma fantastique américain de 1931-1939, à savoir L'Île du docteur Moreau [Island of Lost Souls] (États-Unis, 1932), adapté de la nouvelle d’Herbert G. Wells. Son propos est ici, certes, moins original puisqu’il s’inscrit dans le cadre d’une série avec laquelle le spectateur est déjà familier mais il réussit pourtant à en renouveler totalement l’esprit.
La modification la plus immédiate par rapport à la trilogie karloffienne de 1931-1935-1939 est celle du rythme : il est nettement accéléré au montage. Conséquence logique du soin accordé au rebondissement d’une intrigue que chaque minute enfonce dans la folie autant que dans la terreur. Et il est bien difficile de ne pas tomber sous le charme sourd de cet alliage onirique de fantastique terrifiant et d’humour noir incisif ! Le fait que l’action soit transposée en Europe germanophone (et qu'elle ait été produite en pleine Seconde guerre mondiale de 1939-1945) permet par ailleurs certaines allusions historiques et politiques explicites : les foules sont de plus en plus ignobles et violentes, de plus en plus imprévisibles et seules quelques individualités d’élite maintiennent un monde cultivé au dehors duquel règne la terreur, le mal, la folie. Le problème est que ce mal, cette démence, cette folie n’ont qu’une idée: pénétrer chez eux ! Et ils viennent d’assez loin ! Est-ce Kenton et son producteur George Waggner ― ce dernier venait de produire et de réaliser, pour le compte d’Universal, Le Loup-garou (États-Unis, 1941) avec une équipe assez proche ― qui eurent l’idée de ces modifications novatrices ? En tout cas, c’est assurément Kenton qui matérialise tout cela et il est aidé par une belle photo signée Milton Krasner, par la musique vive, bien plus présente et agressive de Hans J. Salter dont cette époque est l’âge d’or, par une partie de l’équipe de direction artistique et le décorateur du film précédent. Le maquilleur Jack P. Pierce (auquel le générique ajoute un « p » intermédiaire parfois oublié) a malheureusement considérablement modifié le physique de sa créature : elle est nettement moins réussie que ses créatures antérieures jouées par Karloff.
Bela Lugosi reprend le rôle d’Igor : il est plus bavard, moins mystérieux, plus enfantin mais plus vif, plus mobile et tout aussi redoutable (car devenu mégalomane) que dans le film antérieur de Rowland V. Lee. L'acteur Lon Chaney Jr. (crédité Lon Chaney tout court par le générique d'ouverture pour faire croire qu’il s’agissait de son père décédé depuis longtemps, pratique mensongère mais presque constante à Hollywood durant cette période) incarne une créature moins adulte et nettement plus enfantine que celle incarnée par Boris Karloff en 1931-1939 mais elle est aussi davantage primitive : incarnation d’une pulsion vitale désordonnée, elle parle encore moins que dans le film précédent. Son aspect enfantin est mi-onirique, mi-cauchemardesque : une sorte de jouet animé mais souffrant, toujours avide d’amour humain. Colin Clive (1931 et 1935) et Basil Rathbone (1939) sont remplacés par Sir Cedric Hardwicke dans le rôle d'un Frankenstein, ici Ludwig von Frankenstein. Hardwicke s’en tire très honorablement d’autant qu’il joue le contraire d’un démiurge prométhéen et renouvelle ainsi totalement la tradition familiale. Mais il est surpassé par l’admirable création de Lionel Atwill campant un médecin rival dévoré par la jalousie et l’orgueil, désireux de tenter l’expérience suprême et dont le scénario nous apprend qu’il fut le véritable professeur du premier Frankenstein ! Atwill et Hardwicke incarnent presque d'une manière dédoublée les deux visages du personnage, leur opposition instaurant un étrange rapport dialectique et novateur à la fois.
Les dialogues sont très bien écrits, parfois poétiques. La direction d’acteurs est sobre mais elle maintient constamment une certaine fébrilité, une constante vivacité de tous les protagonistes. Evelyn Ankers apporte un certain renouveau : elle est coiffée et habillée à la mode des années 1940 et non plus des années 1930 comme les vedettes féminines précédentes. Ses robes, sa coiffure, son port et son comportement général renouvellent agréablement la donne et son jeu est moins théâtral, plus nuancé et fin que celui des épouses des films antérieurs. Les décors sont modernisés par rapport à la trilogie karloffienne initiale de 1931-1939. L’appareillage électrique relève visuellement du vingtième siècle plutôt que du dix-neuvième siècle tandis que le style visuel du laboratoire est moins gothique ou expressionniste, moins fantastique pour tout dire et ressort davantage de la science-fiction.
L’esprit de l’ensemble est inspiré par les bande-dessinées de l’époque et il inspirera à son tour de nombreuses bandes-dessinées, en raison de son style elliptique de montage, de sa manière abrupte, simple et nerveuse de raconter sobrement une intrigue pourtant totalement folle. Encore dans les années 1950,1960 et 1970, bien des cinéastes, tant européens qu’américains ou asiatiques, s’inspireront du style d’Erle C. Kenton à commencer par Jesus Franco qui m'avait confié son admiration pour Kenton. On peut certes considérer Le Spectre de Frankenstein comme étant la première étape d'une relative décadence de la Universal mais on peut non moins, pour ces raisons, le considérer comme marquant la naissance authentique d’un style nouveau. Kenton s’inscrit certes encore en 1942, dans la stricte lignée scénaristique de la trilogie originale et il n’introduit pas encore de ces démentielles rencontres entre des monstres appartenant à des cycles différents. C’est à Roy William Neill que reviendra ce privilège en 1943. Kenton augmentera, pour sa part, la variété des rencontres et accentuera encore la frénésie de son style dans ses deux grandes réalisations postérieures de 1944 et de 1945.
Source technique DVD + BRD : Coffret Frankenstein : the Legacy Collection (édition Universal, Paris, 2004) et Collection Universal Cinéma Monster Club (édition Eléphant Films, Paris 2016).