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03/10/2021
La Fiancée de Frankenstein de James Whale, par Francis Moury
Résumé du scénario
Prologue : en 1816 Mary Shelley explique à son époux le poète Shelley et à leur ami le Docteur Polidori que l'histoire du baron Frankenstein n’est pas terminée. La créature est encore vivante et en fuite tandis que Frankenstein est gravement blessé mais soigné par son épouse. L'inquiétant docteur Prétorius lui rend visite afin de le convaincre de l’aider à créer non plus un homme mais une femme, prélude à une nouvelle race qui pourrait leur permettre de dominer le monde. Pretorius a déjà créé une race de petits homoncules qu'il présente au baron, stupéfait. Pretorius utilise la créature, tombée sous sa coupe après bien des péripéties et qui désire une compagne, pour faire pression sur Frankenstein jusqu'alors très réticent. Cette nouvelle création a donc bien lieu mais sa venue au monde, par une nuit de cauchemar, loin d'avoir les conséquences espérées, provoque une catastrophe.
Critique
Chef-d’œuvre de tout le cycle Universal consacré au baron et à sa créature, The Bride of Frankenstein [La Fiancée de Frankenstein] (États-Unis, 1935) de James Whale est aussi l’un des films fantastiques les plus importants de l’histoire du cinéma : son alliage de lyrisme, de cynisme, de folie, d’érotisme et de violence débouche sur le surréalisme absolu le plus authentique. La genèse littéraire de cette suite est expliquée par un assez curieux et assez remarquable prologue situé durant une nuit d’orage de 1816 : James Whale y tenait au point qu'il n'avait accepté de tourner cette suite de 1935 qu'à la condition que cette séquence de prologue, qui rendait un si bel hommage à l'histoire des lettres anglaises, ouvrît son film. Une allusion au mépris des conventions, partagé par Shelley, son épouse et leur voisin Lord Byron, fut retranchée du dialogue ainsi, au total, qu'une quinzaine de minutes du métrage initial, réduisant sa durée à 75 minutes environ alors que sa publicité initiale annonçait en 1933 qu'il durerait deux heures.
Le titre du film instaure une confusion entre le créateur (déjà marié) et la créature puisque ce n'est pas Frankenstein, créateur, qui recherche une fiancée mais bien sa créature qui en désire une (comme dans le roman original de Mary Shelley) : lui se contente, si on peut dire, de la créer. Cette confusion est une constante des titres de la série Universal : elle sera levée dès 1957 par les productions anglaises Hammer Films de 1957-1973 dont aucun titre ne prête à confusion. Le docteur Pretorius, campé par l'acteur Ernest Thesiger, est un personnage provenant directement de la tradition expressionniste allemande du cinéma fantastique : non seulement la séquence des êtres humains réduits mais encore la conception même du personnage dans son ensemble, évoquent une sorte de science-fiction médiévale telle qu'on la voyait déjà illustrée, par-delà les œuvres classiques muettes de Friz Lang des années 1925-1930, sans oublier le Homonculus (Allemagne, 1916) de Otto Rippert. Le prénom du personnage est Septimus, ce qui donne Septimus Pretorius, en anglais Seven Royals, claire allusion pour le public anglophone aux sept péchés capitaux. La créature féminine campée brièvement par Elsa Lanchester (qui joue aussi le rôle de Mary Shelley dans le prologue et n’est créditée que pour lui au générique de début car seul un point d'interrogation mentionne l'interprète de la créature féminine à ce même générique) est inoubliable en raison de sa puissance dramatique et baroque, de la tension qu’elle instaure vers l’absolu. Il faut savoir que deux autres actrices avaient été envisagées pour tenir ce double-rôle finalement échu à Elsa Lanchester : Brigitte Helm, la vedette du Metropolis (Allemagne, 1926) de Fritz Lang et Louise Brooks, la vedette du Loulou (Allemagne, 1928) de Georg Wilhelm Pabst. Rétrospectivement, on peut dire que jamais on ne sera rapproché autant des sources romantiques allemandes et britanniques dans le cinéma fantastique américain mais que ce romantisme fantastique est allié au dynamisme américain de telle sorte qu’il produit un objet nouveau, inédit, pleinement original.
Le scénario est très soigné et les rebondissements symboliques abondent, faisant de la créature un emblème de l’humanité souffrante, une sorte de Christ informe et maudit, mais aussi un être original prenant pleinement conscience de la malédiction qui l'accable car sachant désormais pleinement parler et penser. Alors que la nouvelle créature féminine demeure un être instinctif, la créature masculine accède au stade le plus noble de la conscience, celui du sacrifice librement consenti, après être passé par la plus grande amertume possible et la plus grande noirceur possible. Whale maintient soigneusement sa créature dans les limites d’une humanité foncière autour de laquelle se combattent le bien et le mal avant que le combat ne soit lui-même intériorisé par la créature puis sublimé par cette destruction finale mi-suicidaire et désespérée, mi-salvatrice et rédemptrice. Cette hallucinante passion est, parfois, presque gnostique dans ses attendus comme dans ses conséquences et d’un romantisme constamment dévastateur. La puissance plastique de La Fiancée de Frankenstein est encore supérieure à celle du premier film en dépit de quelques inégalités. La musique de Franz Waxman explose l’écran; la photo de John Mescall est souvent plus belle encore en 1935 que ne l'était celle de Edeson en 1931; les effets spéciaux de John P. Fulton demeurent, aujourd’hui encore, impressionnants et poétiques à la fois. La mise en scène de Whale semble en outre moins restreinte par les conventions narratives et dramaturgiques que dans le film antérieur de 1931. Un des classiques de l’âge d’or du cinéma fantastique américain de 1931-1945.
Source technique DVD + BRD : Coffret Frankenstein : the Legacy Collection (édition Universal).