« Quand Pierre Legendre rencontre Martin Heidegger et que l’anthropologie dogmatique achoppe sur l’histoire de l’être (3), par Baptiste Rappin | Page d'accueil | La clé de la clémence envers Le Clézio, par Damien Taelman »
17/10/2019
La Mort du fer de Serge Simon Held rééditée par L'Arbre Vengeur
Photographie (détail) de Juan Asensio.
C'est en 2010, dans ma série Au-delà de l'effondrement, que je publiai cette note sur un beau roman d'anticipation post-apocalyptique intitulé La Mort du fer, écrit par un illustre inconnu du nom de Serge Simon Held et c'est en 2016 que le patron de L'Arbre Vengeur, une excellente maison d'édition qu'il faut à tout prix soutenir, m'envoya un courriel pour m'indiquer qu'il était enfin parvenu à faire l'acquisition de ce volume épuisé depuis des lustres et qu'il allait le lire.
C'est aujourd'hui que vient de paraître, dans toutes les bonnes librairies, la très belle réédition de ce texte, agrémenté d'une préface de mon cru dont voici les premières lignes.
«Beautiful One, to whom was all my dreaming
In the vast City of unstable formes,
One and adored among a million streaming,
One refuge in the dissipating swarms,
Beautiful, changeless one among the many forms !».
Ross Franklin Lockridge Jr, The Dream of the Flesh of Iron.
Avant (et un peu après) La Mort du fer
Il faut tenter d’imaginer la scène qui a eu lieu ce 8 décembre 1931, lorsque les membres de l’académie Goncourt, déjeunant dans leur habituel restaurant de la place Gaillon, ont décerné leur prix annuel, le vingt-neuvième du genre, au cinquième tour de scrutin seulement. Suivant la tradition, Lucien Descaves ne s’est pas rendu à la réunion, ayant préféré voter par lettre, Rosny aîné étant, lui aussi par habitude, arrivé le premier, suivi de Messieurs Raoul Ponchon, Roland Dorgelès, Jean Ajalbert puis, à quelques minutes près, Messieurs Léon Hennique, Pol Neveux, Gaston Chérau le proclamateur officiel de la grande nouvelle et Rosny jeune. C’est à midi trente, soit une petite heure seulement après le début de la réunion, que Gaston Chérau, comme tous les ans, est venu annoncer, dans l’escalier, le résultat d’un vote pour le moins rapide : Jean Fayard qui n’est autre que le fils de l’éditeur, a obtenu pour Mal d’amour le prix prestigieux par sept voix pour contre deux à Jean Schlumberger pour Saint-Saturnin et une à S. S. (pour Serge Simon) Held qui fut, dit-on, le candidat de Lucien Descaves. De scrupuleux témoins de cet événement considérable nous apprennent aussi que Léon Daudet est arrivé à la dernière minute mais qu’il a toutefois pu se régaler d’un turbotin poché voisinant avec une pintade poêlée et des artichauts à la barigoule, le tout arrosé d’un grand Échezeaux 1915 et du traditionnel blanc de blancs, avant que la non moins traditionnelle bousculade dans les escaliers, l’habituelle course au téléphone et au domicile de la nouvelle vedette ne nous rappellent que l’atmosphère de fébrilité et de surjeu du Goncourt est encore ce qui caractérise le mieux cet événement devenu insignifiant, sinon pour celles et ceux qui se grisent de nouvelles et de gloires éphémères : les journalistes bien sûr mais, de plus en plus, leurs frères siamois, les écrivains. Le fer pourra disparaître en France et même dans tous les pays du globe, mais la Presse, ce goitre du monde comme l’appelait Karl Kraus, continuera, elle, de bavarder sans paraître affectée de la moindre déperdition d’énergie. Elle prospèrera même sur le cadavre de la civilisation pourrissante.
Comme tant d’autres romans récompensés par le Goncourt, nous ne savons plus rien de Mal d’amour de Jean Fayard censé évoquer le passionnant sujet qu’est la psychologie des jeunes (de l’époque bien sûr), ni même de son premier roman, Oxford et Margaret écrit à dix-huit ans, tout comme nous ne savons plus rien, fort heureusement, d’autres livres ayant paru cette même année mémorable comme Le Soleil de Georges Bruhat ou Les Samedis de M. Lancelot d’Abel Hermant, tandis que d’autres ouvrages, eux, sont passés à la postérité tels La Grande Peur des bien-pensants de Georges Bernanos, Vol de Nuit d’Antoine de Saint-Exupéry ou encore Aden Arabie de Paul Nizan. Ce même jour, le jury des courriéristes littéraires attribua le prix Théophraste Renaudot, à l’unanimité et au premier tour, à L’Innocent de Philippe Hériat, un livre sorti des mémoires qui traitait d’un sujet dont le trouble parfum, comme tant d’autres fragrances autrefois capiteuses, s’est totalement éventé, l’étrange inclination d’un frère pour sa sœur. Nous pourrions bien sûr multiplier, pour cette seule année 1931, les exemples de ces livres refermés sans jamais avoir été vraiment ouverts, que le doute ne ferait que grandir : qu’est-ce qui peut nous pousser à sauver de l’oubli La Mort du fer écrit par un inconnu qui ne publiera (presque) rien d’autre, si ce n’est l’appréciation d’un de ses lecteurs qui, dans la rubrique intitulée Les romans du jour de la revue Le Jardin des lettres, affirme que le public tient, avec le texte de cet inconnu, «un livre extrêmement original, en vérité sans analogue dans la littérature romanesque contemporaine», offrant «l’hallucinante vision du grand drame dont le monde entier sera le théâtre, le jour où la déesse moderne, la Machine, abandonnera l’Homme qui a mis en elle son imprudente espérance» ? Cette raison, bien que formulée excellemment, est bien maigre, et n’aura quelque improbable influence que sur un esprit d’ores et déjà dévoré d’érudites recherches. Depuis quand d’ailleurs accordons-nous notre confiance à ce qui est moins que de la véritable critique littéraire : un banal compte rendu journalistique, comme il y en avait des centaines par jour à cette époque et, maintenant, des milliers par heure ? Il est vrai que nous avons tout oublié du second texte que Serge Simon Held a publié en 1935 dans le numéro 879 du Mercure de France, et dont tout le mystère, bien vite percé par une explication scientifique en bonne et due forme n’oubliant tout de même pas une certaine drôlerie, tient au titre, La réaction du cocuage. Au diable les atermoiements ! Admettons tout bonnement que ce roman nous attendait, comme c’est le cas pour tout texte, pourvu qu’il ait été écrit dans un but autre que celui d’un simple amusement procuré à son auteur et au lecteur.
Lorsqu’il paraît en 1931, La Mort du fer n’est point tout à fait susceptible de surprendre les lecteurs les plus avertis, encore moins les amateurs de science-fiction ou, comme on l’écrivait alors plus volontiers, d’anticipation...