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23/06/2019
Asensio au Kosovo ou la baleine dans le ruisseau
Photographie (détail) de Juan Asensio.
Quelle n'a pas été ma surprise lorsque la traductrice albanaise de mon ouvrage sur Judas, Anila Xhekaliu, m'a dit que j'allais être invité par mon éditeur albanais Buzuku dirigé par le très fantasque Abdullah Zeneli, à la Foire internationale du livre de Pristina !
Il faut dire que ma Chanson d'amour de Judas Iscariote, parue au Cerf en 2010 et traduite en 2017 sous le titre mélodieux de Kënga e dashurisë e Judë Iskariotit, a reçu un excellent accueil critique dans cette région, par exemple sous la plume d'un Behar Gjoka (qui fit paraître dans sa revue la traduction albanaise de tel de mes articles intitulé Trois piétés en époques troubles) ou d'un Anton Nikë Berisha, dans un article intitulé Misteri i tradhtisë ose hijesimi i dashurisë publié sur ce site puis recueilli dans un recueil d'articles de ce même auteur sous le titre Paanësiae fjalës poetike.
C'est le 16 mai (alors que je dois me rendre au Kosovo le 4 juin) qu'une conseillère de coopération et d'action culturelle de l'Ambassade de France au Kosovo que par courtoisie je ne nommerai pas, m'écrit pour m'indiquer que mon éditeur et ses services allaient prendre en charge mon séjour (transport international, national et hébergement). Elle manifeste par ailleurs le désir que je la mette en relation avec mon éditeur, afin de lui acheter une vingtaine d'exemplaires de mon Judas pour l'offrir à certains de ses partenaires francophones. Je lui réponds que je suis absolument ravi de me rendre au Kosovo mais, n'en croyant pas mes yeux, je lui demande si je dois bien comprendre ce qu'elle m'a écrit. Le lendemain, soit le 17, elle me précise que c'est mon éditeur qui paiera mon billet d'avion, mais je n'en reste pas moins très heureux.
C'est encore le 16 mai que cette même personne m'envoie un nouveau courriel où elle m'écrit qu'elle pense comprendre (que de circonvolutions diplomatiques !) que je suis intéressé par le fait de me rendre, une fois à Pristina, en Albanie (Tirana) et en Macédoine du nord (Skopje), et, pour compléter ce tableau somme toute idyllique, m'indique qu'elle est toute prête à organiser une rencontre avec le public à l'Alliance française de Pristina, m'assurant que l'un de ses collaborateurs, chargé de mission culturelle, était à ma disposition pour préparer au mieux mon séjour.
Jusqu'à ma venue à Pristina, je n'échange plus avec ce membre de l'Ambassade que quelques courriels sans grande importance, qui me permettent par exemple de savoir que cette dernière a acheté... trois ou quatre petits exemplaires de mon ouvrage sur Judas, et non, donc, une vingtaine, mais cela n'a à mes yeux aucune importance, puisque je suis heureux de me rendre dans un pays que je ne connais pas, et pour une aussi merveilleuse raison que celle que m'apporte la traduction d'un de mes ouvrages ! Pour faire bonne figure, je mets en relation l'Ambassade et mon dernier éditeur, Ovadia, afin que je puisse, sur place, disposer de quelques exemplaires de mon dernier ouvrage, Le temps des livres est passé. Je ne sais si ces exemplaires sont parvenus à bonne destination mais, comme pour mon livre sur Judas, je n'en ai vu pas l'ombre d'une feuille au Kosovo. Ils y finiront sans doute à une poubelle (de recyclage ?) ou, par un curieux hasard dont les dieux littéraires sont souvent friands, sous les yeux d'un lecteur, jeune ou vieux, connaissant le français.
J'arrive le 4 juin à Pristina, très tard le soir en raison d'un fort bel orage au-dessus de l'aéroport Charles de Gaule qui m'a fait songer, toutes proportions gardées bien sûr, aux dernières images du très beau film intitulé Take Shelter. Dès le lendemain, je dois prononcer quelques mots à l'ouverture officielle de la Foire du livre, où je serre la main de deux personnes de l'Ambassade de France, mais non pas celle de la personne qui a été, pour l'heure, mon interlocutrice. C'est après que j'ai chaleureusement remercié les autorités en place, ainsi, cela va de soi, que les services de l'Ambassade de France au Kosovo, que l'on m'apprend, fort diplomatiquement bien sûr, que de fâcheuses considérations de planning et autres contrariétés absolument regrettables semblent avoir considérablement compromis, et même très franchement annulé, toute forme de coopération entre la voix officielle de la France au Kosovo et l'auteur que vous savez, dépité mais n'en laissant comme il se doit, protocole oblige, rien paraître. Apparemment, ce sont les mêmes contrariétés calendaires qui me font comprendre que je ne pourrai même pas disposer de mes quatre ridicules exemplaires de mon livre en français. Comme il est parfaitement établi que rien ni personne ne sauraient décidément gâcher mon plaisir d'être loin de la France, je me contente de remercier l'homme affable bien que protocolairement distant qui vient de m'apprendre l'existence de ces impondérables absolument normaux en Albanie, cette dernière remarque étant je le suppose destinée à atténuer ma déception.
C'était donc alors, même si je l'ignorais à ce moment-là, la première et la toute dernière fois que je voyais un des représentants de l'Ambassade de France au Kosovo, celle-là même qui sut, lors de la venue de Mathias Enard à Pristina, et cela en dehors de tout événement littéraire particulier, lui dérouler le tapis rouge que ses balzaciens pieds se sont fait un plaisir de fouler, qui plus est en tenant compte de ces fameuses particularités que sont au Kosovo ce que la saleté, les embouteillages, l'insécurité, les camps de migrants et les centres pour toxicomanes sont à la glorieuse capitale de la France, Paris je crois, non seulement une double nature que plus personne ne prend vraiment la peine de considérer avec attention et encore moins n'ose critiquer mais un glorieux attribut de son rang et de son rayonnement planétaire. Ainsi est-ce cette même ambassade aux moyens très variables suivant la personne censée en bénéficier qui rend compte d'une rencontre entre les lycéens de Pristina, Kamenica, de Klina et d’Obiliq et l'auteur internationalement connu dont ils ne connaissaient toutefois même pas le nom deux minutes avant qu'il ne prenne la parole, pour raconter les habituelles fadaises qu'il égrène toutes les fois qu'il parle. Comme Alain Damasio, Mathias Enard parle comme il écrit; non, je me montre injuste car Alain Damasio écrit encore plus mal qu'il ne parle. Cet événement considérable, durant lequel la jeunesse du Kosovo a eu l'honneur de découvrir le plus grand écrivain français depuis Balzac (ou Balzak, comme je l'ai vu orthographier sur une traduction en albanais) a eu lieu le 17 octobre 2018. Nous apprenons aussi que le maire de Pristina, Shpend Ahmeti, n'a pas trouvé exagéré de remettre à notre fierté littéraire nationale les clés de sa ville et, parce qu'il serait tout bonnement indécent de ne point célébrer à sa juste valeur le nouveau BalzaK de la littérature française, Mathias Enard est convié, cette fois-ci le 16 octobre, à l'Alliance française de Pristina pour, là encore, éblouir un public rare quoique concentré par sa maîtrise du verbe.
Les mauvaises langues habituelles estimeront que je ne suis, une fois de plus, qu'un envieux, un jaloux, un aigri mais, outre le fait que je n'ai jamais rien demandé à l'Ambassade de France, qui de son propre chef a pris la liberté de me contacter et de me faire miroiter un alléchant programme de rencontres et d'activités au Kosovo et dans plusieurs de ses régions limitrophes, il était évident que je ne pouvais inscrire ma venue dans ce pays sur les traces boueuses de Mathias Enard qui n'a jamais été à mes yeux, et ceci avant même qu'il n'acquière une réputation universelle, qu'un romancier amphigourique, comme en témoignent mes différentes critiques indiquées dans cette note ironique, où je moquais cet écrivain parfaitement consensuel et, pour cette raison, encensé par une presse indigente n'ayant pas honte de le comparer à Balzac ! Je le dis et le redis et ne m'embarrasserai, pas plus que par le passé, d'une prudence toute diplomatique qui n'a que faire en matière de critique littéraire : le talent, à peu près nul, de Mathias Enard, a été récompensé comme il se doit par le prix littéraire le plus déconsidéré au monde, le Goncourt bien sûr, parce que cet écrivant sans autre talent que celui de se vendre a fait absolument tout ce qu'il fallait pour être honoré de la sorte.
Je me suis montré, à Tirana, d'une aménité, d'une cordialité, bref : d'une diplomatie absolument exemplaire, afin de ne mettre personne dans l'embarras, mais il est clair que, de retour à Paris, je ne me suis absolument pas gêné pour écrire aux intéressés ce que je pensais de leur défection. Qui vais-je surprendre en affirmant que je n'ai reçu aucune réponse de la part de l'intéressée, plus haut évoquée, ni même de ses zélés collègues ? Cette note, que je n'ai point voulue trop acide, renseignera suffisamment je crois sur les procédés qui, dans le délicat domaine de la collaboration artistico-intellectuelle entre deux pays, sont monnaie courante : le voyage de l'un, le plus connu, le bon vendeur, celui qui a reçu le Goncourt et fait parler de lui dans les médias mais qui écrit comme on fait, et comme on fait une matière peu esthétique, en se cachant dans un lieu d'aisance, est considérablement facilité (je reste dans l'euphémisme) par les services français présents dans le pays où il est invité, alors que l'autre, le sans-grade, le sans-presse autre que confidentielle, l'exécrateur public des prix dits littéraires du putanat médiatico-germanopratin, le contempteur inlassable de la merde qui ose se dire littérature, celui-là est ni plus ni moins que lâché en rase campagne kosovare.
J'y retournerai d'ailleurs bien volontiers, sachant, mais cette fois-ci par avance et en pleine connaissance de cause, qu'il me faudra me passer des diligences, absentes à mon égard, de l'Ambassade de France au Kosovo et, ma foi, je ne m'y rendrai, là-bas ou à Tirana en Albanie, qu'avec plus de plaisir encore ! Je me montrerais mauvais joueur si je m'avisais de sous-estimer le rôle conséquent joué par le personnel de cette ambassade qui a tout de même trouvé le temps, au milieu de sujets dont la portée géopolitique est infiniment plus stratégiques on s'en doute pour la France que la venue d'un critique littéraire en terre étrangère, de saluer ma venue à Pristina sur son compte Facebook officiel.
Je m'amuse de constater que c'est quand même un ambassadeur, ou plutôt un ancien ambassadeur, et de haut vol qui plus est, Besnik Mustafaj, par ailleurs, comme notre nouveau Balzac germanopratin, auteur publié chez Actes Sud, qui a fait, pour moi, un parfait inconnu, le travail que l'Ambassade de France a été bien incapable, elle, alors qu'elle était en toute possession de ses moyens on le devine plus conséquents que ceux de particuliers, de faire, à savoir : me permettre de découvrir cette région à l'histoire extraordinairement complexe, boire et dîner, discuter, jusqu'à des heures impossibles de la division entre Serbes et Albanais, de son ancienne vie dans les hautes sphères de la diplomatie, de la littérature bien sûr, sa grande, son unique passion, littérature pas seulement albanaise puisque Besnik, outre le fait de parler un français impeccable qui m'a été fort utile lorsque j'ai publiquement pris la parole, est un fin lettré. Je le remercie bien chaleureusement de n'avoir pas ménagé ses efforts, avec le concours plus qu'utile et appréciable de l'Ambassadeur d'Albanie à Pristina, et aussi de m'avoir dressé, alors que nous roulions vers Mitrovica, un panorama subtil et érudit des forces en présence et de la situation géopolitique de la région. Je remercie aussi l'étonnant Abdullah Zeneli, mon éditeur et, pour l'heure puisque l'Ambassade de France s'est subitement désistée, unique mécène albanais, Zeneli, l'homme qui projette, en excellent joueur d'échecs qu'il est, des coups cachés dans d'autres coups, et je remercie enfin ma traductrice, Anila Xhekaliu, belle âme s'il en est qui n'aura pas ménagé ses efforts, sans elle aussi m'avoir jamais rencontré, pour me servir de cicérone à Pristina alors qu'elle vit à Tirana et me faire rencontrer quelques lecteurs enthousiastes et érudits de mon Judas !
Je me suis dit que la meilleure façon de remercier mon éditeur consistait, après tout, à lui emprunter, en guise de titre, l'image qu'il a utilisée pour évoquer ma venue : avec Asensio au Kosovo, nous avons fait nager une baleine dans un ruisseau !
Légende des illustrations.
Dans l'ordre ou le désordre, les différentes photographies montrent mon éditeur (infiniment plus drôle et avenant qu'il n'en a l'air !), Abdullah Zeneli, au Salon du Livre de Paris, le discours d'ouverture de la Foire internationale du livre de Pristina ou encore le public, essentiellement féminin et qui fut ému jusqu'aux larmes par la lecture de quelques témoignages d'atrocités, assistant à une conférence à la Bibliothèque nationale du Kosovo afin de présenter la traduction albanaise du livre de Sevdije Ahmeti, Journal d'une femme du Kosovo. Cet événement poignant a été relayé ici. Un autre média albanais a évoqué ce moment. Signalons encore que je figure, avec ma traductrice, Anila Xhekaliu et Besnik Mustafaj, sur le pont de Mitrovica séparant les populations serbes et albanaises et, enfin quelques heures avant mon départ pour Paris, lors d'une assez courte conférence à propos de mon Judas, avec Besnik Mustafaj me servant d'interprète de très haut vol. La photographie servant d'illustration principale montre la sculpture (Heroinat Memorial), assez réussie, d'un visage de femme composé de ceux de 20 000 autres, violées durant la Guerre du Kosovo.