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02/12/2015

Richard Millet tel qu'en lui-même la vanité l'exalte : Israël depuis Beaufort

Photographie (détail) de Juan Asensio.

2681642119.jpgRichard Millet dans la Zone.





11141745_971301339577735_3837197019447339940_o.jpgIsraël depuis Beaufort est sans aucun doute l'un des textes les moins mauvais que la petite entreprise éditoriale de Richard Millet, avec la régularité monotone d'une kalachnikov germanopratine, produit maintenant depuis quelques années de bienheureuse et frénétique activité, laquelle n'empêche absolument pas l'homme, sorte de Melmoth errant le long du boulevard Saint-Germain ou de Vieux Marin racontant à qui veut l'entendre, sur la terrasse de Lipp, son héroïque passé de phalangiste du Verbe, de se prétendre aussi éternel mais glorieux proscrit, alors qu'au moins trois éditeurs (Olivier Véron, Pierre-Guillaume de Roux, Léo Scheer) lui assurent que ses ouvrages sont dignes d'être publiés et même, cela est bien plus remarquable, les publient, alors que la simple collation des livres qu'il a publiés chez près d'une dizaine d'éditeurs suffit à remplir plusieurs pages, compilant méthodiquement plus de... 70 ouvrages ! Mon Dieu, ma soirée, et même ma semaine tout entière, vont être gâchées à la simple perspective qu'il reste, si Dieu donne longue vie à ce rétiaire de pacotille, une bonne cinquantaine supplémentaire de livres à écrire, dressés sur l'autel célébrant la messe que Richard Millet récite avec un savoir-faire d'officiant chevronné à sa propre gloire immarcescible.
Je me revois discuter avec Olivier Véron à une terrasse de brasserie, il y a quelques semaines à peine. Je publierai ton livre si tu évoques Israël. Drôle marchandage que tu me proposes. Mais je n'ai rien à dire, Olivier, sur Israël, je te l'ai déjà dit je crois. C'est absolument impossible voyons, tout le monde à quelque chose à dire sur un tel sujet ! Oui Olivier, et c'est bien le problème. Bon. Alors ? Alors quoi ? Alors, vas-tu m'écrire ce texte sur Israël ? Non, car je n'ai rien à dire sur un tel sujet dont tout le monde, en effet, parle, et sur lequel tout le monde écrit. Je ne te comprends pas. Ne veux-tu pas être publié ? Certainement pas au prix d'un bavardage inconséquent, un de plus, alors que les librairies croulent sous les mauvais livres. C'est pourtant assez simple, Olivier : je me tais, sur Israël, car ce sujet est si terriblement complexe et grand que je ne me sens le droit de rien dire, est-ce plus clair ?, et que, si je devais écrire quelque chose sur pareil sujet, ce serait après m'être enfermé des années durant dans son étude. Non, pas vraiment, ce n'est pas beaucoup plus clair. Pourtant, c'est absolument limpide : je n'ai rien à dire sur Israël, car un tel sujet devrait, comme la kabbale, faire l'objet d'innombrables années de rumination intellectuelle et spirituelle, et donner lieu, tout au mieux, à quelques lignes prudentes à la fin d'une vie, moins peut-être, comme le dernier trait d'un Hokusai où se liraient toutes les mers possibles. Je ne te comprends pas, décidément. Allez, écris-moi ce texte sur Israël bon sang ! Non. Je le vois bien, que tu ne comprends rien. Puis je mens car, à vrai dire, j'ai déjà enfreint cet impératif catégorique. Ah bon ? Oui. Comment cela ? Je te rappelle que j'ai déjà écrit sur Israël. Sur Stalker je suppose ? Oui, mais, avant que je ne crée ce blog, dans un livre que tu as failli publier, je te le rappelle, et que tu n'as pas publié parce que, si mes souvenirs sont bons, tu m'as reproché d'y avoir été beaucoup trop steinerien, donc matois, rusé ou peut-être, plus simplement, respectueux des détours composés par la pensée de ce diable de Steiner, et tu m'as aussi reproché de ne pas conclure mon étude sur l'auteur de Réelles présences dans le sens qui à tes yeux ne pouvait qu'être le seul et unique valable, à savoir : en pointant les doutes et les contradictions de George Steiner face au christianisme certes, ce que j'ai fait dans ce livre et une autre fois après ce livre, dans un article pour la revue Études, mais, surtout, en forçant sa pensée, c'est-à-dire en l'incarnant à la mode péguyste ce que, je te rappelle, j'ai refusé de toutes mes forces, car il eût été pitoyable, grotesque et surtout ridicule d'affirmer que cet auteur se trouvait, comme d'autres avant lui, au porche de l’Église et même de prétendre l'y faire entrer, comme tu me le demandais pour être publié chez toi (aux côtés, à l'époque, de Giocanti, Soulié, Lapaque et Hadjadj), d'un coup de pied dans le cul. Ce livre sur Steiner, t'en souviens-tu Olivier ?, non seulement que tu n'as pas voulu éditer parce qu'il ne te semblait pas assez catholique, tandis que Denis Tillinac à qui je le proposai alors, et qui me dit oui, puis non, puis oui mais à combien d'exemplaires se vendra-t-il ?, puis non, puis plus rien, ce livre donc, que non seulement tu ne publias pas alors qu'il évoquait bien évidemment la question d'Israël, mais dont tu n'as même pas voulu de la réédition puisqu'il est devenu introuvable, ce livre, je n'en renie pas un mot mais si certains de ses défauts me font rougir, ce livre, je l'ai écrit, Olivier et il me me semble ma foi pas plus franchement mauvais que tous ceux que tu as édités. Puis, mon cher Olivier, je te rappelle que plusieurs de tes si chers auteurs, apparemment affligés d'un eczéma qu'ils ne cessent d'exacerber tout en le grattant, t'ont déjà proposé leur petit texte sur Israël, notamment Richard Millet, dont je te remercie de m'avoir envoyé le livre. Au fait, Olivier, j'espère que tu as parlé avec lui de son prétendu engagement dans les phalanges chrétiennes, qu'il exhibe comme une espèce de schiboleth censé lui ouvrir toutes les cuisses de l'admiration féminine, et même quelques organes masculins encore moins nobles ! Ne sois pas vulgaire. Nous avons évoqué ce sujet, oui, mais je ne t'en dirai pas plus. Oh, rassures-toi, je n'ai pas vraiment besoin de connaître la réponses qu'il t'a, d'aventure, donnée, ma religion, et depuis longtemps, est faite sur ce sujet, et il n'y a pas franchement besoin d'être un enquêteur de la trempe de Sherlock Holmes pour savoir de quoi il en retourne. Mais, ne veux-tu pas, je te le demande une dernière fois, écrire sur Israël ? Ma parole, je t'ai dit non ! Non ! NON ! (1).
22032794131_15f7c7d609_o.jpgAffirmer qu'Israël depuis Beaufort (2) est l'un des textes récents les moins mauvais, grandiloquents, martiaux et ridicules de Richard Millet ne garantit bien évidemment d'aucune façon qu'il soit complètement débarrassé des défauts que nous avons systématiquement relevés dans ses autres essais. Ils y sont, plus simplement, moins présents, moins concentrés, leur dilution rendant ce texte acceptable tout au plus, ni bon ni mauvais, mais moins mauvais que ceux qui l'ont précédé, meilleur oui, allez savoir, plus mauvais que ceux qui, en rafale narcissique, vont immanquablement le suivre.
Défaut par exemple que cette opposition systématique, puérile, usée jusqu'à la corde de la prétention lyrique, entre l'emphatique Nous (nous les courageux, nous les «catholiques français» (p. 115), nous qui «sommes vivants» et qui «traversons une épreuve bien plus difficile qu'on ne pense» (p. 68), nous qui ne mangeons pas de ce pain-là (cf. p. 114), nous les derniers hommes libres, nous les derniers résistants, nous les derniers écrivains, nous qui espérons «qu'il en ira un jour du français comme de l'hébreu en Israël» (pp. 110-1), nous les derniers amoureux de la langue, nous les derniers guerriers, nous les derniers nommeurs de la barbarie post-moderne, bref, nous les derniers hommes libres) et vous, vous les chiens, les petits-bourgeois, les rassis du bulbe, les enchaînés aux misérables convenances républicaines, vous qui n'êtes qu'un immense on à vrai dire, vous qui êtes moi, toi, toutes celles et tous ceux qui n'ont pas la chance d'être Richard Millet, toutes celles et tous ceux qui s'engluent complaisamment dans la «donne égalitariste» (p. 11), «l'imbécile quiétude du psychologisme» (p. 12), adhèrent en chantant et pleurant à «l'internationale des larmes» (p. 79), pratiquent les «inversions et pathologies culturelles» (p. 14, l'auteur souligne) de notre époque, saluent «le totem féministe» (p. 37), courbent l'échine devant le «culte consumériste du Veau d'Or» (p. 88), accélèrent la «parcellarisation communautariste» (p. 90), rendent grâce à «la judiciarisation multiculturelle de la société, notamment l'antiracisme étatique» (p. 93), flattent les «rhéteurs du capitalisme mondialisé» (p. 104), chantent les vertus d'un «néo-paganisme accusateur teinté de Coran et de bouddhisme» (p. 106) et s'enfièvrent devant l'«ethnicisation différentialiste» (p. 55).
La liste de ces expressions toutes faites, si commodes à exhiber comme les griottes centenaires que grand-mère expose dans son bocal hermétiquement fermé, n'est bien évidemment pas exhaustive car, à vrai dire, c'est tout le texte de Richard Millet qui en est lardé ou, pour filer ma métaphore, qui baignent dans l'alcool éventé d'un frontisme à tropisme réflexif, et qui n'est, en fin de compte, que la version améliorée de la gnôle de Pinot, simple flic. Procédé habituel de ce si piètre auteur qui se vante à longueur de page de savoir écrire, d'être le seul qui sache encore écrire en langue française et qui, comme une gamine découvrant de grands auteurs virils mouillerait à eau timide de se croire géniale et solitaire, gémit d'être un grand écrivain non seulement incompris mais pas lu (cf. p. 89) ! Tartufferie habituelle, répétée, consubstantielle, qui est devenue la signature du pseudo-écrivain, de l'essayiste lamentable qui ne parvient même pas à se convaincre lui-même de son ineffable talent et qui, pour en exalter l'empan expansif comme l'univers, a besoin, dix fois par livre, de se rassurer. Non pas des mots clairs donc, voire, grands dieux !, des concepts opératoires qu'il s'agirait de définir et dont il faudrait préciser la portée, mais des mots-valises ou des mots allant par deux (un nom commun, un adjectif le qualifiant) censés frapper l'imagination et devenant des espèces de catachrèses où se fige toute capacité de distinction analytique. Des cadavres de mots, que Richard Millet, avec un art de l'embaumement qui force l'admiration des meilleurs préparateurs de cadavres, aligne pour ses bimensuelles mises en bière éditoriale. Que signifie, par exemple, le «totem féministe» (déjà vu plus haut), ou bien encore la «disneylandisation générale de l'Histoire» (p. 67) ? Rien du tout bien sûr, sinon de bons mots journalistiques qui seront repris par un si talentueux Romaric Sangars ou une martiale Eugénie Bastié et qui, toujours chez Richard Millet, court-circuitent toute volonté de travail de la raison : la démarche intellectuelle de cet auteur, si tant est que nous ne l'insultions pas en employant de tels gros mots, ne prétend jamais mener le lecteur vers le dernier pas logique qu'il faudra veiller à lui laisser faire seul, dans le respect de sa liberté et, surtout, de son entière capacité à nous suivre ou à refuser de nous suivre. Non, rien de tel dans la prose sidérante bien davantage que coercitive par sa rigueur altière de Richard Millet qui, à coups d'images se voulant frappantes et qui ne sont plus que des slogans et des mots d'auteur sinon de journaliste souffleur de meeting lepéniste, prétend figer notre attention, passer par-dessus notre réflexion, bref, nous embrigader, nous charmer.
Ainsi, si Richard Millet est ventriloque, c'est devant son miroir, répétant sa petite antienne devant son seul juge, non pas lui-même mais l'idée qu'il se fait de lui-même, Madame Infatuation préparée outrancièrement comme un irrésistible cadeau de chair d'une nuit de débauche, dans la volonté, aussi évidente que grimaçante et ridiculement visible, de tenter de se convaincre lui-même : qu'il est un grand écrivain, le dernier des écrivains de langue française même, comme il n'a jamais cessé de le répéter dans plusieurs de ses essais, qu'il est un guerrier, un homme, nous le verrons, qui prétend évoquer sans peur l'ivresse de la violence physique alors qu'il n'a jamais fait violence qu'à une seule catégorie de combattants, ses lecteurs, en forçant leur interprétation, en établissant des concaténations qui n'ont jamais convaincu que son seul esprit (3) et encore, ce n'est là qu'une généreuse pétition de principe, car qui déchiffre la petite musique de Richard Millet a vite fait de saisir toute l'étendue de sa pauvre gamme de notes creuses, fausses : Arrêtez-moi, vous, lecteurs, où je fais un malheur !, mais qui aurait envie, je vous le demande, d'interrompre le numéro d'un clown triste dressé pour effectuer son petit tour devant un public de crétins ravis qui, à si bon compte, se croient molosses et Gauvains d'armée de reconquête chrétienne arpentant la terre orde d'Islam ? Personne, le spectacle est trop beau, s'il n'est pas franchement cathartique.
De grands mots creux que le maigre savoir-faire de Richard Millet ne parvient même pas à faire se tenir debout, voire, tout bonnement, se redresser, pour une parade organisée devant quelque bourgeoise de Neuilly sans plus de cervelle qu'il n'en faut pour écarter les cuisses devant le rétiaire au verbe si mirifiquement démuni qu'il en devient touchant, voilà le pauvre spectacle à quoi se résume, je le crains, un essai de Richard Millet, que Denis Tillinac, harpon perpétuel de cocktail présente, on se demande par quelle incompréhensible faveur, comme un grand écrivain. Il s'agit, contre tous les autres, de témoigner de sa propre intégrité comme je l'ai dit, l'une des rares figures de style de la si vantée écriture milletienne consistant dans l'opposition entre un nous forcément de majesté et un on forcément de meurtrière légèreté, de coupable médiocrité, cette si banale confrontation qui n'est qu'une supplication déguisée (Regardez-moi me dévêtir, souffrir et, surtout, prenez-moi pour le Christ je vous en conjure, et clouez-moi sur la Croix sévère mais juste de votre implacable jugement !) qui, presque toujours, se gonfle vite de vent, puis se dégonfle encore plus vite, tel un friselis qui n'animerait pas la voile d'une maquette d'enfant jouant à la bataille navale dans sa baignoire : «On me pardonnera donc d'employer le verbe émigrer dans un sens absolu, c'est-à-dire dans la douleur de la séparation : celle de voir, de mon côté, les juifs français quitter la France, et celle, pour moi, de ne savoir où émigrer, sinon en moi-même, dans ce site hors territoire qu'est la littérature, séjour invisible et néanmoins en quête, inlassablement, du génie de son lieu comme d'une incarnation définie par l'alliance entre les deux Testaments, le mot même de testament à entendre comme témoignage autant que legs : ce qui est toujours à ouvrir et à lire pour que nous témoignions à notre tour, particulièrement en ces temps de tiédeur spirituelle, où le refus de l'obéissance et le discrédit, voire l'opprobre jetés sur le témoin solitaire sont des signes du Démon» (pp. 28-9). Une telle tirade pourrait être, par le menu, analysée comme l'exemple même d'une rhétorique réactionnaire qui, d'habitude, présente quand même l'avantage d'être superbement ciselée, méchante ou bien drôle, bien souvent ces trois qualités ensemble. Richard Millet, lui, a inventé la réaction compassionnelle, la moraline anti-moderne, l'envie d'en découdre dolente, de préférence devant un public de lecteurs où il pourra faire rouler les petites muscles de sa phrase atone et étique, maigre comme une longue spatule de héron qui aurait la particularité de s'alimenter sur quelque théâtre des opérations factice : spiritualité diffuse prenant racine dans le cliché suranné de l'alliance des grands ensembles de textes judéo-chrétiens et se concrétisant par la chute (c'est le cas de le dire) involontairement comique qu'est la mention du Démon; opposition habituelle, comme une ritournelle acide ou bien une comptine pour gros dur de cour d'école, entre les autres, tous les autres, salopards, mous et corrompus, et soi-même comme un roc inaltérable, plus dur que le diamant; mots qui, à force de s'engendrer mécaniquement les uns des autres, par association spontanée de sonorités comme on parlait, jadis, de génération spontanée des mouches sur la carne, prétendent remplacer une cascade concaténative par la morne rigole de la parataxe à tropisme romantico-guerrier, l'effet étant encore accentué par l'usage des infinitifs et/ou des participes présents, qui ont l'avantage de présenter les vues de Richard Millet comme si elles existaient de toute éternité et n'étaient dues qu'à l'habituel et discret triomphe du bon sens; comédie, tant jouée par d'autres qui furent tout de même plus grands que ne l'est ce nain verbeux juché sur ses propres épaules, de l'émigration ou de la «diaspora intérieure» (p. 119); bouillabaisse insipide pour élève de troisième ayant lu quelques énigmatiques banalités ronflantes d'Edmond Jabès sur la littérature comme lieu hors du lieu subsumant tous les lieux trop grossièrement réels. Nous pourrions multiplier les (longs) exemples de ce calibre lacrymo-lyrique que nous n'en saurions pas davantage sur l'étrange maladie du langage qui semble avoir, depuis quelques années déjà, infecté la prose boursoufflée de Richard Millet. Voyez Renaud Camus, d'ailleurs fort peu discrètement rappelé via le thème du Grand Remplacement dans le texte de Richard Millet (cf. pp. 71 et 103), dont la prose, tout aussi malade que celle de l'auteur d'Israël depuis Beaufort, ne sait plus quel euphémisme inventer pour désigner le fait innommable : exterminez toutes ces brutes !, selon le mot célèbre de Kurtz, mais, surtout, commencez par exterminer toutes ces brutes qui se trouvent déjà sur le territoire français, en tant que bras de plus en plus armé des hordes conquérantes islamistes qui ne vont pas tarder à nous submerger !
Comme Karl Kraus, je devrais me contenter de citer un second extrait de la prose milletienne, que d'aucuns jugent aussi admirable que profonde, sans doute parce qu'ils ne lisent plus qu'avec des lunettes idéologiques, lesquelles ont l'appréciable avantage de conférer une profondeur (mais illusoire) à ce qui n'est que surface clinquante, toc de bazar oriental : «Et nous voyons bien dans quel satanique laboratoire le capitalisme mondialisé prépare les conditions d'un présent perpétuel, sur les ruines de nations chrétiennes, mélangeant races, ethnies, religions, cultures, langues, redéfinissant les sexes, en inventant même d'autres à partir de pathologies élevées au rang de «culture», au sein d'un concept politique indépassable : l'Humanité, laquelle n'est qu'un universel dégradé, privé de mémoire et de langue, abolissant l'avenir comme menace, et dans lequel la haine du catholicisme et (sous couvert de haïr l'antisionisme et la fidélité à l'origine) celle du judaïsme sont les choses les mieux partagées» (pp. 44-5) soit, autrement dit, un déferlement de mots que rien ne relie entre eux si ce n'est, vague mastic, quelques participes présents à valeur décorative, mots dont les différentes vagues ne naissent jamais les unes des autres, de façon logique, naturellement, bellement, mais ne sont que le fruit tavelé d'une fièvre parataxique ou d'un bubon que l'on presserait trente fois par jour, afin d'en extraire le jus maigre de ces grands mots vides que Richard Millet aligne les uns derrière les autres, ajointe au petit bonheur la chance, sans trop se soucier de l'aspect final de la construction invertébrée à laquelle il parvient en tirant la langue, sans jamais nous proposer le début d'une analyse un peu fine ou, à tout le moins, qui cesserait de se payer de mots, de mots collés les uns aux autres et qui ne s'engendrent pas par une nécessité interne, poétique, comme si le plus grand écrivain du monde, ce que Richard Millet n'a jamais été, n'est et ne sera jamais bien évidemment, n'était qu'un autiste à pavillon auriculaire démesuré, le cerveau réduit à un quark lui permettant seulement, et encore, aux jours stimulants du bannissement social (cf. p. 115, encore !), de laisser couler un mince filet d'eau limoneuse qu'il présente comme de l'écriture, son oreille monstrueuse tout entière occupée à capter le bruit de canalisation intérieure qu'il confond avec une pensée et même, un texte, fût-il celui d'un plombier de la production cumulative de mots sans siphon ni coude mais, surtout, sans jamais de robinet limitant leur infini suintement, leur torturant goutte à goutte de sornettes dolentes.
Les thématiques d'Israël et, aussi, de la guerre exaltée dans une langue au romantisme pré-pubère, et avec une profondeur de vue qui est celle d'une flache à têtards si nous (pluriel de majesté) nous avisions de la comparer à celle d'Ernst Jünger (4), ressortissent toutes deux de cette rhétorique réactionnaire de pacotille (5) et ne nous apprennent guère plus, non seulement sur Israël et la guerre, mais sur la foi, la religion, l'écriture, la force, ce que vous voudrez d'ailleurs, n'importe quel thème (comme la royauté, cf. p. 47 ou bien Mai 68, père eunuque de tous les maux, cf. pp. 50 et 56, sans compter l'islamo-capitalisme, cf. pp. 68 et 108) que vous aurez l'heur ou le malheur de choisir et que, par malchance, Richard Millet aura évoqué dans sa langue de poseur jouant les Volney et les Chateaubriand assis sur les ruines imaginaires du Bedford, ou de n'importe quel autre lieu que sa grandeur apocalyptique aura eu l'exaltante munificence de consacrer de son intimidante présence. Qu'est-ce que la guerre, selon Richard Millet ? Un sous-genre, un genre de taille nanométrique même, des Orages d'acier. La guerre est ainsi, fort banalement, l'expérience intérieure, «l'ordalie» ayant placé Millet dans «le grand Dehors où [il rencontrait] enfin autrui» (p. 68), forcément «une expérience quasi mystique» (p. 72) et, comme il fallait également s'y attendre puisque ces déclinaisons ne sont que des poncifs ayant traîné, surtout, chez les écrivains qui ont vanté la prétendue grandeur de la guerre sans jamais la faire, une façon insurpassable d'écrire «par les armes un texte qui s'insurgeât contre le mensonge «palestino-progressiste», proposition résumable, comme toujours avec Millet, à un de ces mots valises dignes de figurer dans un article de journaliste hystérique de Causeur (c'est là un triple pléonasme, je crois) dont la seule mention en évoque d'autres, tout aussi aisément transportables dans les soutes des avions de ligne qui déposeront Richard Millet, sinon sur les lignes du front idéalisé, du moins dans quelque luxueux hôtel où se rêver un destin d'écrivain-combattant, de guerrier-lettré, de véritable-proscrit-dont-plus-personne-et-surtout-pas-les-éditeurs-ne-veut, ce qui donne cet épanchement de prurit plutôt que de sinovie laquelle, au moins, facilite les mouvements d'articulation, certes pas au sein des phrases de Richard Millet : «l'infection de cet idéalisme ne cessant de s'étendre, pour rencontrer l'idéalisme occidental encore marxiste, mais qui deviendrait marxo-libéral, antiraciste, humanitariste, tandis que l'islamo-progressisme emprunterait les voies de la charia et du jihad, sur le dos des chrétiens et des juifs, au Proche-Orient comme en Europe et Occident» (p. 73). L'expérience de la guerre, relevant pour Richard Millet «d'une ivresse «littéraire» [tiens, pourquoi donc ces guillemets fort peu jüngériens ?] autant que de l'ascèse, voire de l'abnégation» (p. 79), que nous pourrions qualifier de risible romantisme de foire («Ah Dieu ! que la guerre est jolie», écrivait Apollinaire, ironiquement bien sûr) qui paraît-il est capable d'émoustiller quelque quadragénaire en mal de culbutes délicieusement martiales et, mais cela est un peu identique, deux ou trois éditeurs et leurs indéfectibles caniches de compagnie, frétillant de la queue dès que la guerre et la virilité peuvent être l'occasion d'un article sirupeux, n'est pourtant pas, selon Richard Millet, comparable au consternant «romantisme du djihadisme» (p. 81) de certains de nos plus infects contemporains. Ce romantisme extatique de scout à la vocation visiblement contrariée et, cela ne doit pas être négligé, excitatif de femelle à cyprine réactionnaire, voilà pourtant une gamelle peu profonde dans laquelle Richard Millet prétend faire boire ses toutous fringants et toujours prêts à laper généreusement l'eau tiède et sucrée du Maître : «L'homme de la gauche caviar qui me traitait d'assassin ignore tout de la guerre», écrit ainsi Millet qui poursuit, «notamment l'ivresse du combat, laquelle pouvait s'emparer des femmes, souvent aussi implacables que les hommes. La guerre produit ses monstres, ses horreurs, ses cauchemars, mais aussi ses fulgurances collectives ou personnelles, et je connais des hommes et des femmes à qui elle manque comme un amour perdu. La guerre est donc un lieu de vérité, une ordalie» (p. 83), éloquent extrait où nous constatons que, bien loin d'être un guerrier ou plutôt un pseudo-écrivain jouant au guerrier de papier, l'écrivant Richard Millet est un distillateur d'érotisme de boudoir, moins oriental que parisien, un peine-à-jouir stylistique dont la phrase ne bande pas qui n'a même pas été excitée par la double présence de la lectrice idéale et du miroir amincissant où se regarder écrire et jouir en prenant une mine peu amène de phalangiste du Verbe.
Israël n'est pas franchement mieux loti que la guerre, hormis quelques évidences qu'il est à mon sens utile de rappeler (6) ou bien tel passage, qui à vrai dire, si Richard Millet était autre chose qu'un rhéteur de quinzième sous-brasserie de province, eût dû constituer le socle à partir duquel déployer sa pensée comme le grand Pierre Boutang, lui, l'a fait, et, à défaut de pensée pour ce qui est de Millet, sa verbosité très-pieusement patriote : «C'est pour avoir perdu le souci de l'origine que la France peut être dite morte, dès lors peuplée de spectres, morts-vivants, de revenants. Ne s'attendant plus à elle-même, il n'est plus rien attendu d'elle, à l'intérieur comme hors de ses frontières. Il me semble que, pour poursuivre la réflexion de Péguy, de Claudel et de Michaël Bar-Zvi, il y avait entre la France et Israël une communauté supérieure de destin dans laquelle, la fille aînée de l’Église, rejoignant l’État juif dans son droit d'aînesse et prenant ce dernier pour exemple, permettait de maintenir l'espérance à un haut degré spirituel et politique» (p. 111).
Une autre de ces idées, qui n'est ici qu'une pétition de principe puisque Richard Millet ne sait aligner que des vérités bien-pensantes (mais qui se veulent furieusement dérangeantes, histoire sans doute de choquer le petit-bourgeois qui lui a fait perdre sa place enviable chez Gallimard, le même pourtant qui le lit) et des slogans autotéliques, réside dans l'affirmation selon laquelle Israël jouirait d'une espèce de droit d'aînesse, non seulement géopolitique mais spirituel, voire sacré qui annoncerait et subsumerait, du moins pour qui lit le destin de la France avec des lunettes spiritualistes sinon mystiques (et ce n'est pas pour rien que tel ouvrage de Léon Bloy est évoqué, cf. p. 115) le propre rôle de notre pays, rôle du reste déjà évoqué dans l'extrait précédent : «Il s'agit, pour ces fondamentalistes, de ne laisser dans le Coran aucun palimpseste qui rappelât ce qui l'a précédé : oui, ce vivant palimpseste, la Bible, qui oblitère le Coran par sa position originelle, contre quoi nulle armée d'Allah ni légion démoniaque ne peuvent rien» (p. 85). Notons, au passage, un contresens sur le terme palimpseste, lequel désigne un manuscrit qui a été préalablement effacé du texte qu'il contenait pour être désormais vierge et accueillir un nouveau texte, définition même, autrement dit mais uniquement selon Richard Millet qui semble oublier qu'il évoque Moïse tout autant que le Christ, du Coran qui rappelle tout ce que l'on voudra sauf ce qui l'a précédé selon l'auteur ! Quelques pages plus loin, Richard Camus, pardon, Millet, enfourche le destrier de feu avec lequel il rêve, comme un Metzengerstein anti-remplaciste, de bouter l'Arabe hors de la doulce France : «la dissolution des Palestiniens au sein de l'Oumma me paraîtrait de moindre importance en comparaison de ce que serait la disparition de l’État d'Israël, souhaitée par les hordes islamistes dont le seul recours à l'origine ravive la nostalgie de la conquête arabe et le désir d'une contre-Reconquista par laquelle non seulement rétablir Al-Andalous, en Espagne, mais étendre le califat à IMG_3103.jpgtoute l'Europe, tandis que le drapeau de l'islam flotterait sur une Jérusalem vidée de ses «minorités»» (pp. 91-2), stratosphérique analyse géopolitique qui ne constitue rien d'autre que le point d'orgue de ce château de sable spéculatif qu'est la pensée de Richard Millet, dont Olivier Véron, dans l'argumentaire accompagnant ce livre, n'a pas peur d'affirmer qu'il est au service de «la langue comme de son arme», alors que je pense que Richard Millet ne dresse qu'une seule bannière qui ne claque à aucun vent, la sienne, alors que je pense que Richard Millet ne sert aucune langue et que d'aucune façon cette dernière ne saurait être confondue avec une arme, ou alors une arme factice, en plastique coloré. C'est peut-être d'ailleurs Olivier Véron qui, dans sa grandiloquente présentation du livre de l'auteur, évoque le livre qu'il aimerait, lui, écrire sur Israël, et qu'il n'a bien sûr pas écrit car ce Livre est un fantasme, le fantasme de centaines d'autres livres affirmant qu'Israël n'est «ni un idéal, ni un horizon, ni un défi, ni un mystère, ni cette terre seulement promise et «inaccessible» depuis le Liban, mais une réalité, la mémoire, la certitude tangible et scandaleuse de l'origine jamais perdue».
IMG_3101.jpgCes plaisantes considérations sur le livre de Richard Millet, que l'on ne peut même pas qualifier de dernier tant cet écrivant écrit et, c'est tout de même bien plus étonnant, publie, peuvent rendre en apparence caduque le jugement par lequel j'ouvrais cette note. Je commence moi-même à douter, en effet, relisant mon texte et reparcourant celui de Richard Millet, de sa pertinence, mais enfin, je ne vais pas me dédire car, bien que mon exemplaire d'Israël depuis Beaufort soit recouvert d'annotations assez expéditives et que ses toutes dernières pages soit d'un pathos frisant le sermon d'un curé moderniste qui aurait vidé trois litres de moraline (7), ce livre, heureusement court, m'a paru quand même moins mauvais que ceux qui l'ont précédé.
Peut-être parce qu'il est plus court que les précédents, ce qui n'est pas une raison très avouable, peut-être aussi parce que, dans la foulée de sa lecture, j'ai lu Tuer publié aux bons soins de Léon Scheer, un livre que j'évoquerai dès que possible, du moins si je parviens à emmagasiner suffisamment d'oxygène pour parvenir à respirer à de telles profondeurs de contentement et de nullité verbeuse.

Notes
(1) Je mélange dans ce court dialogue la substance de deux entretiens : l'un en tête-à-tête avec l'intéressé, l'autre par échange de courriels. Je garantis l'esprit, sinon la lettre, de notre dialogue ou, devrais-je dire, monologue.
(2) Richard Millet, Israël depuis Beaufort (Les provinciales, 2015).
(3) «[...] et son objets d'un hypermnésie propagandiste, donc pornographique» (p. 77). Inutile, d'ailleurs, de rappeler les premiers mots de cette phrase, car le sujet importe peu, seule important la façon de faire de ce malotru qu'est finalement Richard Millet qui, invité à votre table, non seulement s'essuie les pieds sur votre tapis persan en prétendant que ce n'est pas de la merde qu'il y dépose mais du sang de fanatique mélangé à du sable du Liban, mais rote, pète et, par-dessus le marché, oriente la conversation sur le seul sujet qu'il semble ne pas trop craindre : lui-même.
(4) Sur ce sujet, il faut lire l'article fort méchant écrit par Michel Vanoosthuyse dans le n°54 de l'excellente revue Agone, intitulé Les beaux quartiers de l'extrême droite (pp. 123-46).
(5) Sur laquelle nous pourrions apposer cet avis d'un de ses analystes : «la méthode employée a eu pour résultat de faire apparaître un certain nombre d’auteurs réputés pour leur «profondeur» […] sous un jour quelque peu moins imposant et parfois même franchement comique. Il s’agit là d’un effet non voulu, mais je ne saurais dire que je le déplore», in Albert O. Hirschman, Deux siècles de rhétorique réactionnaire (Fayard, coll. L’espace du politique, [1991], 2006), p. 262.
(6) Comme celle-ci, point exempte cependant, comme toujours, d'un expéditif et si commode confusionnisme : «C'est donc pour expier les fautes de nos pères que l'on condamne Israël, les chrétiens du Liban, les catholiques européens, l'expiation n'étant ici qu'un sophisme psychologique nourrissant une rhétorique qui, lorsqu'elle rencontre celle de l'islam, ne peut que déboucher sur le reniement de soi comme et la soumission au nombre – à l'«autre» comme nombre et comme principe négateur» (pp. 100-1).
(7) «En attendant nous combattons. Nous réactivons le catholicisme, fuyons sa torpeur à tendance sociale et bien-pensante, ses hérésies humanistes, socialistes, œcuméniques. Nous sommes nous-mêmes, la tête droite, le visage tourné vers la lumière des Prophètes, le sourire de Marie, la parole énigmatique et lumineuse du Christ» (p. 119).