« Amère patrie de W. G. Sebald | Page d'accueil | Les Prophètes du Passé de Jules Barbey d'Aurevilly »
05/03/2018
Georges Bernanos à la merci des (vieux) universitaires. Quelques remarques sur la nouvelle édition en Pléiade des romans du Grand d'Espagne
Photographie (détail) de Juan Asensio.
Georges Bernanos dans la Zone.
Annonce du programme
Les lecteurs qui s'imagineraient que je compte porter le discrédit sur le travail d'une équipe d'universitaires, épaulés, du moins pour une volumineuse et excellente chronologie, par Gilles Bernanos, en seraient pour leurs frais. Si j'avais cette fort malveillante volonté, je ne pourrais mener un tel projet qu'à la condition d'avoir lu les deux nouveaux volumes que Gallimard vient de publier dans sa collection de la Bibliothèque de la Pléiade puis, l'ayant fait, en les comparant à celui dont disposaient jusqu'à maintenant les lecteurs, un excellent volume préparé, voici désormais plus d'un demi-siècle, par Michel Estève et Albert Béguin, aidés par Gaëtan Picon qui signa une très belle préface.
Or, je n'ai nulle envie de lire ce lourd pensum bicéphale ou dipyges au choix, d'abord parce que le prix (110 euros) de ces deux volumes est parfaitement prohibitif et démesuré en regard de la qualité et de l'intérêt du produit, ensuite parce que, humant ces deux volumes, les parcourant au gré de mes fort rares visites dans des librairies, piochant au hasard dans ces centaines de pages noircies de caractères minuscules, m'attardant ici ou là, lisant ce qui me tombe sous les yeux, lisant même, et relisant la préface, nous y reviendrons, je sais à peu près à quoi m'en tenir, quelle bête à courtes pattes, truffe mouillée et queue frétillante m'est proposée à l'adoption : le caniche nain, toujours dressé pour faire le beau, de l'inflation verbale, même s'il est vrai que, pour le prix de l'animal ridicule et prétentieux et une jolie laisse en cuir torsadé, je pourrai disposer d'un choix de ses meilleurs parasites universitaires, de quoi me constituer une véritable ménagerie.
Ensuite parce que l'édition, en un seul volume, des romans de Georges Bernanos ainsi que des Dialogues des Carmélites jusqu'alors disponible et à un prix beaucoup plus décent me semble, vaille que vaille, convenir parfaitement à tout lecteur du Grand d'Espagne, fût-il sourcilleux, et en sus parce que Michel Estève s'est démené, durant des années, pour servir la cause de Bernanos, le plus souvent en étant moqué par ces mêmes universitaires dont il accueillait pourtant le brouet insipide dans les pages de ses Études bernanosiennes hélas stoppées depuis des années pour de sombres et lamentables querelles financières, si j'ai bien compris cet imbroglio inextricable.
Enfin parce que je compte concentrer mes critiques sur deux parties de cette nouvelle édition bavarde et pseudo-savante : sa préface bien sûr, écrite par un certain Gilles Philippe dont je découvre le nom, car c'est le rôle d'une préface que de mettre en perspective l’œuvre qu'elle présente et commente, puis l'édition donnée par Monique Gosselin-Noat de Monsieur Ouine, sans nous attarder toutefois, faute de temps, de place et d'intérêt, sur le fourmillement des relevés des différentes leçons du manuscrit, qui ne pourra intéresser qu'une nouvelle race d'universitaires, d'ailleurs à peu près tous phocomèles, ne craignant pas de passer, des journées durant, des semaines, des mois et même des années, le regard vissé sur tous les manuscrits d'un texte disponibles, afin d'en traquer la plus minuscule variante. Tâche exaltante et héroïque assurément, qu'il ne faudrait réserver qu'à des ordinateurs, si les étudiants, eux, avaient de la culture et n'étaient pas, comme ces mêmes ordinateurs, programmés pour ne plus nous révéler que des insignifiances. Nous apprendrons ainsi, après le relevé minutieux de 4 millions de virgules, que Georges Bernanos a eu tendance à les placer logiquement, à quelques rares exceptions près, signifiantes comme il se doit, au sein d'une phrase, et nous dormirons alors heureux, fiers de n'avoir pas été totalement inutiles durant notre existence.
J'irai ainsi à l'essentiel, mais ce n'est pas l'envie qui me manque de procéder à une lecture exhaustive de ces deux volumes, et donc à une critique en règle qui de toute façon ne sera menée par nul autre que par moi, tant ont dû fleurir (enfin, n'exagérons rien, car il ne s'agit après tout que de Bernanos, pas de Jean d'Ormesson), dans la presse de droite comme de gauche, des pseudos-critiques muséales qui ne seront que des paraphrases plus ou moins originales de l'argumentaire de vente gentiment envoyé par l'éditeur, sous des titres spirituels comme : Bernanos le témoin capital, Bernanos le prophète, Bernanos et notre temps, Bernanos le moderne (et sa variante platement compagnonnesque: Bernanos l'antimoderne), Bernanos remis au goût du jour, L'enfer bernanosien sur papier Bible, que sais-je encore d'aussi original, et même, peut-être, quelque improbable mais fort logique Moi et Bernanos, sous la plume stratosphérique de Monique Gosselin-Noat, dans la Gazette cénabrienne des amis de Pernichon.
En guise d'exergue ou d'exorde, allez savoir, ou comment faire vendre des livres sans jamais parler de leur intérêt réel
Qui souhaite économiser, par les temps de crise actuelle, plusieurs dizaines d'euros n'a qu'à lire le texte de présentation de la nouvelle édition des romans de Georges Bernanos dans le n°58 de La Lettre de la Pléiade, et ainsi éviter d'acheter la nouvelle édition, en deux volumes, de ses romans dans la paraît-il prestigieuse collection de La Pléiade. Ce texte de quatre pages, intitulé Éditer Bernanos aujourd'hui ne peut que dégoûter, le terme n'est pas exagéré je crois, tout amoureux réel des livres de Bernanos, tant, sous couvert de présenter les avancées, on le devine fulgurantes de l'édition moderne (ainsi, l'édition des romans du Grand d'Espagne est-elle dite, sans raison apparente, «particulièrement nouvelle», p. 8), il n'est pas dit un traître mot de l'intérêt (ou de son absence, tout aussi polémique et encore plus intéressante) de proposer la découverte des romans de Georges Bernanos.
Le texte de cette Lettre, qui n'est pas signé, est publié dans la rubrique Coulisses et, à vrai dire, ne fait pas mentir cette intrigante appellation, car nous y apprenons des choses absolument remarquables. Par exemple, nous y lisons que, cinquante-quatre ans après l'édition des Œuvres romanesques de Georges Bernanos suivies de Dialogues des Carmélites, donnée par Michel Estève, Gaëtan Picon et Albert Béguin, «bien des choses ont changé», comme «le regard que nous portons sur l’œuvre de Bernanos et les connaissances accumulées par les chercheurs à son propos, naturellement», mais aussi «la manière d'éditer les œuvres littéraires» et, «plus profondément, l'appréciation des droits et devoirs» d'un éditeur soucieux de demeurer à la fois fidèle à l'écrivain qu'il sert et respectueux du lecteur pour qui il travaille». Il s'agit, une fois ces merveilleux principes édictés, contre lesquels il serait absolument fou d'oser faire remarquer qu'un universitaire, bien avant que de servir un auteur, ne songe en général qu'à se servir sous couvert de généreux oubli de soi, comme nous le verrons à propos du curieux tropisme de l'un d'entre eux, il s'agit donc de se dépêcher d'affirmer que, bien sûr, «la nouvelle édition se présente différemment de celle que, sans la désavouer, elle remplace», ce qui ne peut que justifier amplement la nécessité de scinder ledit volume vénéré mais point repris en deux volumes chargés de «recueillir, outre les œuvres inscrites au sommaire (ouf !) les documents qui, révélés à cette occasion ou déjà connus, éclairent la genèse et la réception de ces œuvres» (p. 8). Je ferai valoir, à propos de Monsieur Ouine dont l'édition, répondant rigoureusement à ces magnifiques principes consignés par une plume anonyme, l'existence de travaux susceptibles d'éclairer la genèse et la réception du roman et qui, malheureusement, n'ont pu être évoqués, ne serait-ce que d'un renvoi de note en police 2 (minuscule, voire microscopique), parce que Monique Gosselin-Noat, spécialiste émérite de Georges Bernanos et d'une bonne quarantaine au bas mot d'autres auteurs, n'a selon toute vraisemblance, entre 2004, date de parution desdits travaux dans les Études bernanosiennes dirigées par Michel Estève, et la présente nouvelle édition de la Pléiade des romans de Georges Bernanos (disons 2014, date de remise des manuscrits, selon toute vraisemblance, pour notre poignée d'érudits), pas eu le temps de s'y référer, voire, toute bonnement car il ne faudrait tout de même pas que nous nous aventurions à remettre sa réputation en jeu, à les lire ou même, à en prendre connaissance, ce qui serait tout bonnement inimaginable pour une bernanosienne d'une telle rigueur proverbiale.
Je ne sais rien du rapport que Monique Gosselin-Noat, aux prise avec sa quarantaine et plus d'auteurs, a noué avec le temps, mais j'en sais fort heureusement ou, plutôt, malheureusement, beaucoup plus sur son rapport à la rigueur professionnelle, comme je m'en suis expliqué ici.
Poursuivons la lecture de notre réclame publicitaire, qui semble s'attarder, décidément, sur le cas du manuscrit de Monsieur Ouine, objet des plus folles découvertes sur la portée, hic et nunc, des romans de Georges Bernanos et, partant, de la façon d'éditer à l'âge où l'homme se promène sur la surface de Mars via des robots qu'il dirige depuis la Terre. Nous apprenons ainsi que la nouvelle édition du dernier roman de Georges Bernanos se contente de reproduire le texte tel qu'il a paru en 1946, n'y ajoutant rien et n'en corrigeant rien mais signalant tout de même «les leçons ponctuellement corrompues», ce qui ne pourra que désarmer les craintes des lecteurs les plus maniaques, alors que l'édition jusqu'alors suivie était celle qu'Albert Béguin avait donnée en 1955. Bien, nous en sommes ravis disais-je, car nous rêvons nuit et jour de manuscrits tirés au cordeau, alignés devant les universitaires en grand apparat comme des soldats de l'armé glorieuse de la République démocratique de Corée du Nord un jour de grande parade, mais alors, vous ne m'en voudrez pas de poser cette naïve question, mais alors pourquoi ne pas donner la toute première édition de ce roman, parue au Brésil en septembre 1943 chez Atlantica Editora, aussi tronquée et fautive qu'on le voudra mais à tout le moins indubitablement historique, puisqu'il s'agit, à la lettre, de respecter le premier état (hypothétique, n'en déplaise aux tenanciers de la critique génétique) d'un manuscrit dont l'histoire semble étroitement liée au sujet même (le Mal) et, plus que cela, à la façon dont ce sujet est évoqué (lacunairement, elliptiquement) ? En effet, Monsieur Ouine a connu, du vivant de son auteur, trois publications, dont celle que je viens d'évoquer et qui a été rejetée, non seulement, donc, par Albert Béguin, mais aussi par notre pléiade d'universitaires tous plus aboutis les uns que les autres. Diantre, voici donc une édition critique qui n'est pas si critique que cela et, à tout le moins, n'est pas du tout exhaustive, et se situe même bien loin des canons de l'édition scientifique de textes pratiquée par les universitaires anglo-saxons !
Il va de soi, s'empresse de préciser notre rédacteur anonyme si soucieux de ne surtout pas donner l'impression qu'il distribue les bons et les mauvais points à la ronde, il va de soi que les «intentions d'Albert Béguin ne sont pas en cause» puisque, en «rééditant à sa manière Monsieur Ouine, il entendait faire de son mieux pour servir l’œuvre de Bernanos», précaution oratoire de jésuite puisque nous apprenons presque immédiatement que ledit Albert Béguin a écarté «des éditions non reniées par l'auteur», a recouru «à des manuscrits non homogènes et qui ne représentent pas toujours le dernier état du texte», et, en un mot, n'a pas publié «le texte tel qu'il était, quitte à l'amender en cas d'erreur ponctuelle», mais a bel et bien fait paraître Monsieur Ouine «tel qu'il aurait pu ou (selon lui) dû être» (p. 9). Je ne sais qui a rédigé, disais-je, ce texte à la prudence assassine, mais je me dois de féliciter cette salauderie euphémistique qui se planque derrière le rideau rapiécé d'une bienveillante neutralité.
Ma foi, c'est de bonne guerre, car Monique Gosselin-Noat, elle, a figé la réception de Monsieur Ouine telle qu'elle aimerait qu'elle fût ou soit, c'est-à-dire en rendant grâce à son propre bavardage pseudo-savant, en tenant surtout compte de la très haute valeur intellectuelle de ses propres travaux, comme le prouve la fort succincte bibliographie (voir photographie, cliquable car elle désire et mérite d'être agrandie) des études dignes d'être retenues par tout lecteur souhaitant se plonger dans l'exploration du dernier roman de Georges Bernanos !
Revenons à notre texte anonyme qui détaille les nombreux raffinements exégétiques dont cette nouvelle édition se pare, et que nous pouvons résumer en déclarant qu'il s'agit d'établir, systématiquement, un relevé exhaustif des variantes du texte manuscrit, la correspondance de l'auteur mais aussi d'autres documents qui «intéressent la genèse de ses œuvres aussi bien que leur réception» et enfin «les sections non retenues des éditions établies par Albert Béguin» (p. 11). En somme, toutes ces passionnantes variantes, ayant mérité deux et non un seul volume, ne peuvent intéresser qu'une catégorie, bien spécifique, de lecteurs : plus que des érudits, des chercheurs, des universitaires, car nous ne doutons plus à présent que cette nouvelle édition, qui, contrairement aux dires de cette longue et inutile présentation, n'offre aucune découverte majeure mais se contente de pousser à bout la logique de la compilation, est une édition préparée par des universitaires pour des universitaires. En bref, pas une seule fois, à en juger par cette présentation, n'a été questionnée la valeur littéraire, morale, politique, intellectuelle, spirituelle, de l’œuvre romanesque de Georges Bernanos, et cette absence d'intérêt est tellement visible que notre rédacteur anonyme s'est tout de même repris d'extrême justesse, en concluant sa longue et inintéressante péroraison par ces quelques mots, bien solitaires et ridicules, même, de se sentir ainsi jetés devant le spectateur, pour un salut final : «Les conditions semblent réunies pour la redécouverte d'une œuvre qui, on ne le dit pas assez, ou pas assez fort, occupe l'une des toutes premières places dans le paysage romanesque du XXe siècle» : ouf, c'était moins une, tout de même, que de rappeler cette évidence ! Pour le reste, pardonnez-moi mais je doute que ce soit d'un travail réalisé par des universitaires pour des universitaires dont les romans de Bernanos ont ou auraient besoin pour rayonner au-delà de cénacles strictement universitaires, surtout lorsque ce travail, présenté, si je lis bien, comme un travail offrant tous les gages de rigueur scientifique, est partiel, lacunaire, orienté, certainement pas exhaustif, absolument pas original, mais noircit du papier jusqu'à la nausée, sans ne strictement rien nous apprendre que ce que nous savions déjà, et depuis une bonne vingtaine d'années, à savoir : que Georges Bernanos est l'un des plus grands et puissants écrivains de langue française.
De deux préfaces, dont l'une ne vaut rien, celle d'un certain Gilles Philippe, bernanosien de la 25e heure
Toute préface est un exercice délicat, et rares sont celles et ceux qui, tout en étant précis, érudits, savent à peu près tenir une plume ou, puisque la métaphore n'est plus de mise, tapoter sur un clavier. Gilles Philippe croit sans doute qu'il sait écrire, mais il ne sait pas écrire, ou alors il écrit comme écrit un journaliste ou un universitaire visant le journalisme, ce qui revient au même : il ne sait pas écrire, mais il s'imagine savoir écrire, parce qu'il déploie cette manie toute contemporaine qui consiste à aligner les uns derrière les autres des mots censés contenir des trésors de signification. Philippe Sollers (et, dans son sillage infini, tous ses petits singes, de Yannick Haenel à François Meyronnis en passant par Michel Crépu et Matthieu Baumier), a utilisé cette molle rengaine, ce ridicule procédé d'écriture (faussement) artiste avec une telle constance qu'il transforme tout concurrent en amateur, ces petits et sots empilements de mots creux faisant passer les navrants navets de Jacques Prévert pour des illuminations rimbaldiennes et les platitudes cryptées de René Char pour d'impénétrables et chatoyants hermétismes célaniens. Gilles Philippe, professeur ordinaire de linguistique française à l'Université de Lausanne, écrit comme écrivent les universitaires : creusement, prétentieusement, d'une prétention creuse ou bien d'une béance prétentieuse : «La lutte, la nuit, bénir, maudire» et ses déclinaisons comme «Le mal et la mort, le salut et la sainteté». Bien sûr, puisque Gilles Philippe est un universitaire, il ne peut s'empêcher d'utiliser le terme ignoble qu'est «lisibilité» des romans de Georges Bernanos (p. 9 de l'Introduction), mais c'est plutôt son travail de présentation (voire, pour ceux qui découvriraient l'écrivain, d'introduction, donc) qui est illisible, non point que son style demanderait, comme celui d'un Pierre Boutang, un effort intellectuel particulier, mais parce que, littéralement, il est creux. Or, au travers même de certaines de ses obscurités, qui pourra affirmer que quelques lignes de l'auteur d'Ontologie du secret ne nous en apprennent pas infiniment plus, sur Les Possédés de Dostoïevski par exemple, qu'une bonne cinquantaine de thèses impeccablement formatées ?
Vide et prétention vont presque toujours ensemble ai-je dit : comme Gilles Philippe n'a rien à dire d'essentiel ni même de banalement intéressant sur les romans de Bernanos, si ce n'est qu'ils sont expressionnistes, il est fatal qu'il raconte de prétentieuses sottises sur celui qui est censé, selon lui, être le plus expressionniste d'entre eux, Monsieur Ouine bien sûr, lequel encore est «tramé d'un symbolisme sévère» (p. 10), la lecture symbolique d'un texte étant, avec la psychanalytique, l'une des plus commodes sornettes mises à disposition des cuistres qui n'ont rien à dire mais le disent quand même; lorsque vous ne comprenez rien à un roman et le paraphrasez, contentez-vous donc de dire qu'il est puissamment ou sévèrement symbolique, écrivez encore, comme le fait notre préfacier, qu'il frappe par son abstraction, et le tour sera joué, du moins vous verrez paraître sur la face blême des imbéciles qui vous écoutent un hochement de tête approbateur.
L'expressionnisme des romans de Bernanos est tout de même très vite oublié, car il s'agit pour le préfacier, pardon, l'introducteur, d'évoquer par la suite, pêle-mêle, la question du temps, la figure de l'écrivain, puis le style de l'écrivain, où il n'y a «rien qui fasse bien peur» (p. 14) et surtout pas à un universitaire de la trempe de Gilles Philippe, alors que l'expressionnisme, tiens le revoilà celui-là, est de nouveau de mise, accolé cette fois-ci avec de vagues et sottes considérations sur le mépris que notre époque eunuque n'entendrait plus, auquel il ne comprendrait goutte, qu'il refuserait même de tous ses pores, mépris avec lequel Bernanos traite pourtant la plupart de ses personnages (cf. pp. 15-6) qu'il n'épargne point de sa féroce ironie et même, qu'il juge. Certes, nous apprenons, ébahis, que le style de Bernanos, romans ou essais d'ailleurs, est d'essence et de structure polémiques, que son écriture est, aussi, lyrique (cf. pp. 18-9) et, sans doute parce que tout professeur sait que, pour être comprise, une leçon, fût-elle la plus simple, doit être inlassablement répétée, vous supposerez, et aurez bien raison de le faire, que nous allons de nouveau être bassinés par le «symbolisme expressionniste très simple, très fort» (p. 20) auquel recourt Bernanos, avant de lire quelques considérations sans aucune profondeur sur la thématique de la sexualité, la «tragédie d'un monde sans Dieu» puis, comme par hasard, parce qu'un universitaire n'est que l'homme d'une seule absence d'idée, nous retrouvons bien sûr notre ami le cliché jauni expressionniste, cette fois-ci à propos de l'article enthousiaste que Bernanos consacra au Voyage au bout de la nuit, article qui peut donc «aussi être lu comme le manifeste d'un expressionnisme bernanosien» (p. 22).
Puisque cette préface universitaire n'est rien de bien plus qu'un alignement de paragraphes évoquant, journalistiquement, les thèmes les moins profonds qu'a embrassés, avec un singulier courage, Georges Bernanos, la suite du texte morcelé de Gilles Philippe égrènera d'autres considérations, sur le subjectivisme propre aux romans de l'auteur, qualifié de «puissant romancier de l'intériorité», mais aussi de «prodigieux romancier de la scène» (p. 26) bien que, serpent (ou plutôt lombric) se mordant la queue, la préface de Gilles Philippe se termine par là où elle n'a pas vraiment commencé, puisqu'elle nous parle de nouveau d'illisibilité des romans de Georges Bernanos à une époque et surtout pour un public de lecteurs sans plus beaucoup de culture chrétienne : c'est ainsi que l'œuvre de Georges Bernanos «nous est devenue moins lisible et [que] nous hésitons à en franchir le seuil» (p. 30), sans doute parce que «nous ne pouvons plus rendre à Dieu ce qui lui appartient», mais que nous devons néanmoins «laisser à la littérature son bien», car nous «pouvons ouvrir la porte sans la clef religieuse, quitte à la forcer», ce qui nous permettra de trouver «dans l'amertume une douceur, dans la violence un réconfort», par exemple en découvrant ou relisant le «beau roman impressionniste», impressionniste et pas expressionniste je vous prie, de Joseph Malègue (Augustin ou le Maître est là), car, dernière fadaise de cette Préface écrite entre deux copies d'étudiants et usant et abusant de tous les poncifs propre à cette caste d'eunuques qui hélas se reproduisent, «Nous luttons avec l’œuvre comme Jacob avec l'ange. Elle nous terrasse» (p. 31), ce qui n'est que pure logique, car faut-il préciser que le texte insignifiant d'introduction de Gilles Philippe à son propre bavardage inutile, lui, nous a assommé d'ennui ?
D'un seul exemple, mais éloquent, des prodigieux résultats obtenus par nos universitaires en plus de 40 (bien lire : quarante) années de recherche
Je recopierai quelques lignes de l'entretien accordé à Philitt, ici, en rappelant que ma longue étude, sur cette question, a été publiée dans la Zone.
«Je vais illustrer mon propos par un seul exemple de l’inutilité de ce travail censé être savant (et j’exclus, de ce dernier, l’excellente chronologie de la vie de Bernanos donnée par Gilles Bernanos). Vous connaissez comme moi les toutes premières lignes de Sous le soleil de Satan, où Georges Bernanos évoque Paul-Jean Toulet, un auteur plus qu’intéressant aujourd’hui hélas bien oublié. Dans les notes de la première édition des romans de l’auteur en Pléiade, nous lisons sous la plume de Michel Estève que «l’on peut rapprocher, sur certains points mineurs», La Jeune Fille verte écrite par Toulet du premier roman de Bernanos (cf. p. 1777 [et non 1776, comme je l'ai indiqué par erreur] de l’édition datant de 1974).
Prenons (sans l’acheter) le récent travail dû à notre cohorte dûment estampillée ABOC, ou appellation bernanosienne d’origine contrôlée, et lisons la note se rapportant à ce mystérieux passage, cette fois donnée par Pierre Gille : «Plutôt qu’aux célèbres Contrerimes (1921), Bernanos pourrait se référer ici au dernier roman de Paul-Jean Toulet (1867-1920), La Jeune Fille verte». Bernanos, ajoute Pierre Gille en tirant soigneusement la langue, aura trouvé dans le roman de Toulet «une satire particulièrement vive du monde bourgeois et ecclésiastique d’une petite ville, et des ambiances, comme l’évocation finale, par l’orateur, des “heures divines du crépuscule”» (cf. p. 1190 de la nouvelle édition). Est-ce bien tout ? Oui, c’est tout. Absolument passionnant, non, que de connaître les dates de naissance et de mort d’un auteur et d’apprendre deux ou trois renseignements, que je n’ai pas rapportés ici, à propos de la publication de son dernier roman ! Je tire en tout cas mon chapeau à Pierre Gille, auteur d’un travail intéressant quoique brouillon et surtout inutilement compliqué et non complexe (dans mes souvenirs) sur la question de l’angoisse dans les romans de Bernanos. Je le salue humblement, sans aucune ironie, parce qu’il réussit l’exploit de nous parler d’un glaçon accroché à la monture de sa paire de lunettes alors que, devant lui, se trouve un iceberg de belle taille. Certes, il aura vite fait de m’objecter que la masse réelle d’un iceberg est justement celle qui ne se voit pas, et je serai pour une fois d’accord avec notre universitaire, car, en effet, c’est ne strictement rien avoir vu, tout du moins soupçonné, que d’évoquer La Jeune Fille verte par le minuscule trou de la lorgnette satirique, alors que, les bras m’en tombèrent lorsque je lus ce roman, il est évident que Mouchette doit beaucoup de ses caractéristiques à cette mystérieuse jeune fille verte peinte par Toulet ! Mes yeux, d’habitude bien ouverts lorsque je lis un livre, à la différence de ceux, sans doute fatigués par l’âge, de notre vénérable universitaire et commentateur insignifiant, se dessillèrent pour de bon lorsque je compris que, par le biais du roman de Paul-Jean Toulet, c’est le titre le plus célèbre d’Arthur Machen, Le Grand Dieu Pan (que Toulet avait traduit en français avant la parution de Sous le soleil de Satan) qui affleurait justement dans ce dernier. La preuve de mes dires ? Une simple lecture, mais une vraie lecture se concentrant sur les caractéristiques du démoniaque, telles qu’elles apparaissent dans les trois romans en question (rappelons-les : Le Grand Dieu Pan, La Jeune Fille verte, Sous le soleil de Satan) suffirait pour écrire une belle étude autrement plus passionnante et originale que la note tout juste informative de Pierre Gille.»