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19/07/2012
L'anarchisme chrétien de Jacques de Guillebon et Falk van Gaver
Crédits photographiques : Lisi Niesner (Reuters).
À propos de Jacques de Guillebon et Falk van Gaver, L'anarchisme chrétien (L'Œuvre Éditions, 2012, puis DDB sous le titre Une histoire de l'anarchisme chrétien, avec une préface de Jean-Claude Guillebaud).
LRSP (livre reçu en service de presse).
«Alf de Vileçon et Falk Glandaglaire : deux exemples de chancre commun qui partagent assurément toute médiocrité sans jamais trouver ensemble la moindre lumière de pensée. Aussi font-ils au plagiat bon accueil et vont-ils tenter de ravager de leurs lourdeurs la beauté qu'ils voient jaillir aux doctrines des penseurs fondamentaux. Prenez garde à ces grands gorilles lâchés dans leurs propres brumes, ils abâtardissent tout ce qu'ils approchent. Et lorsqu'ils parlent, parfois, d'anarchisme de droit divin, Vileçon et Glandaglaire pillent, déforment, scarifient, bistournent et corrompent la profondeur d'une pensée dont ils ne sont pas capables, qu'ils ne connaissent pas, qu'ils insultent, tout en s'enfonçant psychotiquement, contre tous les faits, dans la certitude qu'ils sont inventeurs de ce qu'ils ont entendu, car il leur est une jouissance de compromettre la grandeur en la mêlant à la corruption de leur congénitale paresseuse cochonceté.»
Maxence Caron, L'Insolent (Nil Éditions, 2012), p. 538.*
Nous aurons utilement résumé le gros livre indigeste, ridicule (1), approximatif (2), littéralement truffé de fautes (3), comiquement romantique (voire ses toutes dernières lignes, page 398) et ne relevant pas, nous l'avions bien remarqué, de «cette objectivité vilaine qui tue la vie partout où elle sévit» (p. 357), livre en outre qualifié, sans honte, par leur ami Romaric Sangars pour Chonic'art [l'URL n'est plus valide, mais Jacques de Guillebon l'a repris sur son propre blog, comme il se doit] de «première «bible» de référence pour les mystiques et révolutionnaires radicaux du XXIe siècle», une bible donc qui leur a été inspirée, nous y reviendrons en note, par des voies ou des voix qui ne sont point seulement celles du Saint Esprit, de Messieurs Jacques de Guillebon, cacographe apocalyptologue de son état qui n'a toujours pas retrouvé son père malgré une multitude de tests ADN, quelques déterrements de figures paternelles de substitution comme celle de Philippe Muray et la bonne volonté touchante de sa maman d'adoption Chantal Delsol, Jacques de Guillebon donc, ce catholique furieusement christique et dont le moindre atome que dis-je, quark, mais surtout l'inimitable brushing, sont rebelles, qui s'imagine fréquenter Serge Netchaïev lorsqu'il trinque avec le salonnard polygraphe et communiste à l'orthodoxie extensible (puisqu'elle s'étend de L'Humanité à Valeurs actuelles) Jérôme Leroy, Jaques de Guillebon que nous n'osons plus présenter et Falk van Gaver fort heureusement moins connu que son frère siamois mais pas plus sérieux d'un point de vue intellectuel, auxquels La Nef donne du Jacques et du Falk à tour d'éditorial et qu'un plumitif tel que Philippe Verdin n'hésite pas à qualifier d'«archéologues de la révolte», bref, nous aurons fort utilement condensé notre propos et surtout celui de nos deux salonnards fols en Christ, prônant le bel idéal anarchiste alors qu'ils sont eux-mêmes des cerclistes, des raoutistes, des réseautistes et de coteristes émérites, en affirmant qu'il n'aurait jamais dû être écrit, ce gros livre, ce «recueil explosif» (p. 30) paraît-il, sauf, bien évidemment, en raison de l'impérieuse nécessité journalistique qui commande à nos deux anarchistes peut-être chrétiens, en tout cas à très fort tropisme publicitaire, de répandre leurs copiés-collés entrecoupés de consternantes banalités jusque dans les recoins les plus oubliés de la Chrétienté, et assurément dans les plus belles devantures des Procure où, paraît-il, ils donnent et même procurent quelques frissons à de vieilles bigotes ménopausées et, nous l'avons remarqué, à quelques vagues scribouillards qui leur lèchent complaisamment les sandales ou, comme Romaric Sangars, jouent à se prendre pour des Cosaques, beaucoup plus à l'aise avec la chopine qu'avec le sabre lorsqu'ils fomentent le renversement de l'État et même du Grand Ordre Mondial néo-libéral et esclavagiste chez Barak (29, rue Sambre et Meuse, dans le Xe arrondissement de Paris).
Jacques de Guillebon et Falk van Gaver, spécialistes auto-proclamés de l'anarchie et qui, n'en doutons pas un seul instant, l'ont illustrée courageusement d'une tout autre façon qu'en gribouillant, un soir de sortie bruyante de bar, un sigle rageur sur une façade de rue déserte, me font songer à l'exemple de Jack London (que nos deux benêts citent avec des trémolos à la page 361) s'immergeant dans la vie puante du peuple d'en bas tout en n'oubliant jamais, le moment venu de retrouver son intérieur confortable, de prendre une très longue douche.
Enfin !, se disent nos évangéliques rombières, enfin !, et comme je les comprends nos pauvres viragos !, comme j'aime leur exaltation de saintes pucelles à moustache ! Après nos chers Barbey, Hello (dont le portrait s'appuie sur les placides fumigations de Patrick Kéchichian), Bloy (un de ces «apocalyptiques bilieux», p. 110), Péguy (à peine abordé dans un chapitre qui lui est pourtant consacré, cf. pp. 112-22), Claudel (qui, apprenons-nous avec stupéfaction, «n'admettra la démocratie qu'en 1945 quand aura été élaborée à ses yeux une doctrine de production acceptable, celle de la coopérative, point nodal de l'anarchie», p. 112), Bernanos comiquement caractérisé comme étant un «guetteur de l'aube» (p. 126) (Bernanos encore qui, le pauvre, n'a été capable de créer en tant que romancier qu'un «seul habitant, un seul personnage, un seul médiateur : un seul personnage parce qu'un seul Médiateur», p. 125), Thoreau et son épigone hollywoodien Chris McCandless (p. 302), Jünger, «chevalier errant, mettant son épée et sa plume au service des causes justes ou perdues» (p. 303), Mounier qui, une fois qu'il ne plaît plus à nos deux anarques, est prié de déguerpir (et de quelle façon ! : «Peut-être eut-il (sic) mieux valu, pour la pensée bien entendu et seulement, que le jeune chef d'Esprit (sic) disparut (sic) pendant la guerre», p. 328), Ellul comparé à Corto Maltese (cf. p. 330), Georges (sic) Orwell (cf. p. 359), sorte de «critique écologiste avant la lettre du monde moderne» (p. 360), qui vous voudrez et surtout les sublimes Mirmidons de la Décroissance et du Partage Christique de la Grosse Galette, les moinillons-soldats d'Immédiatement menant la charge contre l'État policier (cf. pp. 391 et sq.), tante Marie-Enguerrande qui de sa vie n'a jamais manqué une seule communion et même Fabrice Hadjadj qui veut désormais toutes les enchaîner, voici, enfin, il était temps tout de même !, le nouveau sang catholique propulsé par un cœur à biturbine mariale, voici le nouveau cerveau de choc à double couche de cilice, taillé pour toutes les joutes verbales et auxquelles les plus fines subtilités aquinates ne résistent pas une seconde, Messieurs Jacques de Guillebon et Falk van Gaver, sortes de Bouvard et Pécuchet du catholicisme journalistique contemporain, Mordillat et Prieur qui n'attendent que vous, vous, mes amis, vous, pauvres badauds qui par milliers vous ruerez sur leurs livres ineptes, pour dépasser en gloire et surtout en ventes leurs illustres parrains, et qui jamais ne peuvent s'empêcher de répéter la plus consternante banalité pourvu qu'ils l'aient préalablement arrosée d'eau bénite et de quelques autres liquides moins rigoureusement homologués !
Et quel festival d'affirmations jamais étayées, de jolies phrases définitives s'appuyant sur des béquilles en caramel et tutoyant l'Empyrée ! : ainsi le XXe siècle pictural est «né là, dans cette recherche d'un idéal médiéval» (p. 213); Dada est dépeint si commodément comme une «entreprise d'anéantissement du néant» (p. 235); Gandhi est devenu par le miracle du baptême forcé «Christ indien et demi-nu», un «prophète, un saint, un martyr» (p. 239) et même, rendez-vous compte, un «décroissant avant l'heure» (p. 250); René Girard, la meilleure, à vrai dire l'unique citation de tous les cancres, évidemment pousse la chansonnette de la «rivalité mimétique» (p. 248; encore, p. 387, cette fois pour la pseudo-théorie du bouc émissaire); c'est encore le «Nazaréen» qui est devenu, allez savoir par quel mécanisme que les plus savants théologiens n'ont pas complètement identifié, un «prototype au centre» de «tous les prophètes et martyrs de l'ancienne comme de la nouvelle Alliance» (p. 252); c'est la «non-violence» qui «peut dire avec Jésus» qu'elle n'est pas venue apporter la paix, mais l'épée, et qui est dès lors et sans manières qualifiée de «révolution conservatrice selon Gandhi» (p. 262); c'est Vinoba confondu avec le Christ, ou bien le Christ se promenant en Inde, «en route par les chemins, souverain sans couronne et sans trône, sans capitale et sans armée, et même sans feu ni lieu, ainsi va le Roi des Pauvres» (p. 271); c'est la Tour Eiffel qualifiée de «Babel creuse et pointue [qui] est le chiffre du siècle qu'elle inaugure un jour de foire [...], sa prophétie, sa préfiguration jusqu'au palier nul et final, tous convergeant à la cime du rien. C'est l'anti-cathédrale, l'ouvrage de Satan, son échelle, pour sa chute finale...» (p. 274); c'est l'anarchie, sans blague, qui «ne se réduit pas à un slogan, ni la liberté à l'anarchie» : «Nous sentons bien, en croisant Lanza comme tant d'autres, que le terme anarchisme est réducteur, donc (sic) ils ne se réclamaient pas» (p. 281), etc. Car je pourrais à l'évidence multiplier par 100 les exemples de ces bêtises sentencieuses et empiler les unes sur les autres ces iréniques fumisteries que nos Sabines éternellement ravies continueraient de goûter la prose eunuque de Guillebon et Van Gaver, leur incroyable amateurisme, leur coupable imprécision, leur lamentable impressionnisme journalistique, en fin de compte leur unique talent, qui est celui de parvenir, un temps du moins, à sidérer les imbéciles, qu'ils gobent comme de petites souris à cerveau aussi hypothéqué que l'est le sexe des anges.
Ce gros livre de plus de 400 pages bouffé par les fautes comme la bure de Savonarole l'était par la fureur du penitentiam agite de la fin des Temps, si peu pensé qu'il en devient touchant, mal écrit, mal ou pas relu du tout, qui mélange tout et ne définit clairement rien du tout sinon la crasse inculture de ses auteurs, m'aura permis d'écrire, et ce sera espérons-le sa seule façon de passer à la postérité des cacographes où les places ne sont certes jamais comptées, l'une de mes critiques les plus courtes (notes non comprises, je dois bien me rattraper !), une longue phrase se décomposant en deux propositions l'une et l'autre négatives, que je m'empresse de vous exposer : tout d'abord, non, le christianisme n'est pas toute l'histoire de l'anarchisme (ou l'inverse, cf. p. 203 : «l'anarchie doit tout au catholicisme, comme l'un de ces innombrables libertins élevés dans leurs collèges devra aux Jésuites»), un anarchisme défini, génialement c'est sûr, comme une «tension vers l'anarchie» (p. 397), même si, malgré ses outrances d'inspiration athée, un Proudhon a pu affirmer que l'enseignement de Jésus était tout social, ni politique, ni théologique, même si un Félix Ortt a pu publier en 1903 un Manifeste anarchiste chrétien qui sent bon l’œcuménisme le plus dégoulinant; puisque cet anarchisme peut trouver, rappelons-le quand même, sa source pour le moins datée historiquement dans L'Unique et sa propriété (1845) de Max Stirner qui, apprenons-le à nos béotiens, exalte l'individu dans la récusation non seulement catégorique mais dûment étayée de toute conscience religieuse, morale, juridique ou politique, même si Stirner a pu prétendre, bizarrement, qu'il conformait son attitude à celle de Jésus dépassant l'État en l'ignorant; puisque cet anarchisme a trouvé son prolongement philosophique dans la lignée de l'athéisme de Feuerbach, sa mise en scène romanesque sous la plume de Tolstoï, sa traduction pour le moins violente, communiste, dans la carrière de Mikhaïl Bakounine qui servit de guide à Netchaïev et exalta son «amoralisme effrayant» (selon l'expression d'Henri Arvon) ainsi que nombre d'actes terroristes comme l'assassinat du tsar Alexandre II (1881) après plusieurs attentats manqués, du président de la République française Sadi Carnot (1894), du roi Umberto Ier d'Italie (1900) et du président des États-Unis d'Amérique William McKinley (1901), jusqu'aux sinistres agissements de la bande à Bonnot (1911-1913), et enfin son affadissement en littérature avec le fameux acte gratuit de Lafcadio tel que Gide en a peint les plates et ennuyeuses aventures dans Les caves du Vatican (1914) et, seconde et dernière réfutation, non, ce n'est pas en faisant de pratiquement tous les auteurs, anonymes ou pas qui, depuis l'invention de la peinture pariétale, ont tracé un signe et, pour les plus acharnés, écrit une demi-syllabe sur un bout d'os rongé, des anarchistes chrétiens voire catholiques, que messieurs Jack et Falk parviendront à rendre soluble dans l'eau plate du journalisme universalisant le plus commun et consternant l'irréductible singularité de certains des écrivains que, par leur bavardage consensuel, leurs images journalistiques d'un comique échevelé et leurs facilités adolescentes (4) aussi incongrues et vulgaires que des cagoles contemplant une carme déchaussée en pleine prière et tout juste dignes de relever les dialogues de quelque Martine chez les curés, ils abaissent et même auxquels ils prétendent faire courber l'échine pour venir laper la mélasse de l'écuelle commune, pour le coup marchande (car n'ayons aucun doute : ce genre de torchon trouve toujours sa place dans les cuisines des bigotes), où lions, gazelles, phacochères et même caniches permanentés sont confondus dans une joyeuse ménagerie de cirque.
Ma phrase était longue quoique claire, mais moins longue tout de même que l'unique phrase (5) s'étendant sur plusieurs centaines de pages et écrite à quatre mains (enfin, à plus de quatre mains, visiblement... (6)) ou plutôt pieds de messieurs Jacques de Guillebon et Falk van Gaver, commodément condensée de la façon suivante : la sottise et la prétention de l'imposteur n'ont aucune borne autre que matérielle ce qui, à tout le moins, est une limitation purement factuelle bien que fort utile.
Notes
* Pour la petite histoire, ouvrant ce soir, vendredi 20 juillet, mon exemplaire de ce livre, au hasard, comme on raconte que les Anciens ouvraient au hasard l'Énéide et y lisaient leur avenir, je suis tombé sur ces quelques lignes qui me choquent profondément, car c'est faire trop d'honneur à nos deux plagieurs que de les comparer à des gorilles.
(1) Pour s'en convaincre, je demande au lecteur de réaliser l'utile exercice consistant à lire à haute voix l'introduction de l'ouvrage, laquelle parvient à réaliser l'impeccable fusion de la sottise et de la prétention : «Nous n'avons reculé devant rien pour bâtir notre propos : nous avons usé de tous les moyens, même légaux, comme l'annexion, la reprise, le mélange, l'inspiration, l'effusion ou le détournement, pour parvenir à nos fins, en essayant, autant que possible, de rendre à chacun son dû», Jacques de Guillebon et Falk van Gaver, L'anarchisme chrétien (Éditions de l'Œuvre, 2012), p. 10. Nous constaterons plus bas que nos deux théologiens de la photocopieuse et de la coopérative christico-distributiste n'ont en effet reculé devant rien pour bâtir (drôle de construction toute bancroche) leur propos filandreux.
(2) Il est ainsi pour le moins révélateur que, pas une seule fois, Jack et Falk ne donnent la plus petite référence précise aux pages des ouvrages consultés, dont ils reproduisent de si larges extraits grâce aux vertus de quelque scan pour le moins défectueux (voir, page 64, les «delà» mis en place de «de la» ou, page 66, l'étrange «sueurs aînées»), qu'ils en constituent la bonne moitié du livre en question. Amusons-nous encore du fait que la même page présente, l'un sous l'autre, deux extraits de texte rigoureusement identiques (cf. p. 84).
(3) Je tiens à la disposition de nos Goliath qui depuis leur plus tendre jeunesse ont tondu, de leurs propres dents il est vrai fort longues, les moutons les plus intraitables ayant brouté l'herbe apocalyptique de l'île de Patmos, mon exemplaire de leur livre, tellement griffonné de rouge qu'il semble ruisseler du sang de tous les martyrs versé, au moins, depuis celui du tendre Abel.
(4) Les relever toutes et surtout les analyser me forcerait à écrire un livre en réponse à celui de nos deux derniers Mohicans millénaristes. Tout de même, dans l'ordre et le désordre provoqués par mon hilarité, voici quelques perles du pieux bavardage : «L'anarchie procède d'un sentiment que l'on pourrait dire océanique, c'est-à-dire qu'elle est tributaire de forces parfois inconscientes, parfois non mises au jour, que meut pourtant toujours un désir de s'extraire de la fausse contradiction moderne imposée par la domination des ethos socialistes et libéraux» (p. 12), où le sentiment océanique est surtout celui, visiblement, dans lequel se sont noyés nos deux apostoliques témoins qui ne s'embarrassent jamais, comme c'est commode tout de même, de définitions, préférant nous offrir quelque roborative illustration de leur absolue nullité stylistique, pour preuve : «Anarchie. Anarchisme. À un mot qui souffle aux esprits libres le grand vent de la liberté et de l'aventure, nous ne donnerons pas une définition doctrinale, une restriction théorique, mais nous l'embrasserons pleinement, à bras le corps et à pleine bouche, et nous nous laisserons emporter par lui, folle cavalcade, par des sentiers invus et des chants inouïs» (p. 23).
Nous frémissons lorsque, à mots couverts, nos buveurs de saint chrême affirment que le martyre, finalement, est la meilleure preuve de l'anarchie (voir les toutes dernières lignes du premier chapitre, intitulé À la recherche de l'anarchisme chrétien que nous n'avons toujours pas trouvé, p. 33).
Nous demandons des exemples susceptibles d'illustrer ces grandes sentences qui paraissent fulminées par quelque infaillible pontife de la formule toute faite, à propos de Proudhon dont certains des textes, selon nos deux illuminés, auraient pu être signés par saint François, le Curé d'Ars ou même Jean de la Croix (cf. p. 58) : «Proudhon illustre cette maxime que l'on peut juger permanente à partir de lui : les anarchistes formeront toujours la frange religieuse, ou mystique, comme l'on veut, du socialisme» (p. 50).
Nous sourions en pointant ces formules vaseuses à ample cadencement poético-gélatineux telles que : «Avant d'être une morale, l'anarchie est un esprit. Un état d'esprit contre l'esprit d'État. Un état de l'Esprit contre l'esprit de l'État» (p. 71) ou encore : «Sans les uns, il n'y a pas les autres. Et sans l'Un même, il n'y a pas les uns. C'est une véritable communion des saints [des uns ?, ai-je cru naïvement lire] et un catholicisme fiévreux que l'on ne comprend pas sans hypostasier le recours à la littérature et à la contestation de l'ordre. Un catholicisme romantique et romanesque» (p. 91), catholicisme qui, ainsi (non-) défini, autorise toutes les approximations pontifiantes, tous les mélanges de genres et de styles, toutes les sottises, comme celle consistant à dire que l’œuvre de Villiers est «prisonnière d'une langue parfois heurtée, parfois chantournée, parfois grinçante, parfois coulante» (p. 99) et fort heureusement jamais aussi imprécise que celle de nos Paul et Virginie de la fadaise, comme celle qui affirme que, dans «ce combat, Bloy invente un langage totalement propre à lui-même qui lui permet d'échapper à la bourgeoisie rampant dans le ventre de chaque homme, qu'il soit pauvre ou riche» (p. 106). Je mets au défi n'importe lequel de mes lecteurs, fût-il le plus amène à l'endroit du style de nos Dupond et Dupont portant le cheich, de ne pas rire aux éclats en lisant, au moins trois fois, une telle phrase qui ne veut strictement rien dire, outre le fait qu'elle est grotesque, et qui tire sa puissance comique du décalage abyssal qui existe entre l'intention de l'auteur, supposons-la apologétique voire poético-apologétique, et le résultat obtenu.
Nous éprouvons un tournis digne de celui que ressentirait un cosmonaute en revenant, dans sa modeste capsule Soyouz chauffée à blanc et soufflée par tous les vents du diable, toucher rudement (à la russe) le plancher des vaches, en lisant, à propos de Simone Weil bien sûr : «Il faut avoir fait l'épreuve d'un certain degré de pesanteur avant d'être touché par un certain état de grâce. Il faut passer de la pesanteur de l'apesanteur à l'apesanteur de la pesanteur. Qui s'élève sera abaissé, qui s'abaisse sera élevé. Porter sa croix» (p. 138).
Nous fronçons, de stupéfaction, les sourcils en constatant que nos deux bergers de Catholicie sont aussi à l'aise dans la longue péroraison invoquant la Parousie que dans le lettrisme le plus rigoriste et l'hermétisme le plus célanien : «C'est la raison pour laquelle il [«notre ami Alain Durel»] a quitté la CNT, ayant décidé de pour Jésus-Christ à sa manière» (p. 81).
Nous nous exclamons, tiens, enfin !, en lisant les belles pages sur Benoît-Joseph Labre, même si les facilités, décidément, sont plus dures à éliminer que des écrouelles («Libre Labre» et «délabrement», p. 156) et que la comparaison avec Rimbaud ne vaut que comme une très vague image : «Labre Rimbaud, météores brûlants aux siècles de raison, aux siècles de marchands, qui ne surent que marcher, et marcher, et marcher encore» (p. 157), même si encore les pages sur le poète sont décidément ineptes et surtout témoignent d'une incompétence, sur la question rimbaldienne, assez poussée (ainsi, nous devrions attendre «un véritable exercice spirituel d'exégèse rimbaldienne», p. 173) sans compter, mais nous y sommes déjà habitués, les inévitables et consternantes banalités rincées à la plus belle eau journalistique : «Toujours, Rimbaud cherchera à voir la réalité la plus pure des choses et des êtres, avec un regard perçant qui les rend transparents à la vérité et à la grâce. L'ultime réalité des êtres et des choses est angélique – ou démoniaque. C'est cette vision très vraie qui transparaît, effroi et paix, dans le regard et le verbe rimbaldiens» (p. 175).
Défauts de tous genres, nous n'allons pas allonger cette liste jusqu'au Golgotha tout de même, le nombre des stations de notre chemin de Croix étant bien supérieur après tout à une douzaine : Wilde évoqué en quelques lignes avec Baudelaire (pp. 159-70), lignes sur Germain Nouveau qui ressemblent étrangement à celles de la note Wikipédia consacrée au poète (cf. p. 196), Apollinaire rangé d'office dans le clan pour le moins bigarré, nous l'avons vu, des anarchistes (cf. pp. 198-201), évocation d'une galerie de poètes-gueux qui, avouons-le, n'a pas grand rapport avec le sujet de l'ouvrage, si tant est qu'existe un sujet d'ouvrage autre que : multiplier les pages, dans un style oscillant entre le larmoiement d'une bas-bleu et le gros rhume d'un Isaïe, bouilloire sur le front et thermomètre en son prophétique fondement.
(5) Et encore !, dites-vous bien que vous l'avez échappé belle, mon pauvre lecteur. Nous devons en effet mesurer notre chance d'avoir évité le pire puisque «c'est toute notre littérature qu'il [aurait fallu] évoquer, des chansons de geste aux romans courtois, des fabliaux féroces aux contes grivois, toute cette frivolité française, cette furia francese, de la Fronde à la Révolution, de Rabelais et d'Agrippa d'Aubigné à Pascal et Condé, sans oublier l'ami Montaigne et le sceptique Cyrano. Et Balzac aussi, évoquant la liberté chouanne et nobiliaire, Tocqueville, Chateaubriand, derniers ors de l'indépendance aristocratique dans le siècle de la démocratie montante – triomphe de la bourgeoisie» (p. 25). Soyons clairs : l'ouvrage à quatre mains de MM. Guillebon et Van Gaver est moins une histoire littéraire, picturale et philosophique de l'anarchie qu'une longue et monotone déambulation sur différents territoires qu'il s'agit, tous, de rapporter dans l'escarcelle du Christ. Ainsi procédaient les explorateurs européens des terres africaines, se moquant de l'absolue diversité des peuples et des cultures qu'ils rencontraient et avec lesquelles ils établissaient le contact, désireux seulement de rapporter dans leurs coffres, pêle-mêle et dans un désordre affreux et criminel, les richesses fabuleuses du continent pillé. En somme, MM. Guillebon et Van Gaver se livrent sans vergogne à ce qu'il est convenu d'appeler une razzia, qu'elle soit réalisée à la gloire de l'Église ne changeant finalement pas grand-chose à son intention si peu scrupuleuse.
(6) Il fallait s'en douter, un tel nombre d'erreurs, de maladresses stylistiques et d'approximations peut avoir comme origine, outre évidemment l'incompétence notoire de nos deux moinillons évoquant des sujets qu'ils ne maîtrisent pas, le fait qu'il se sont inspirés de notices entières disponibles sur Wikipédia. On se souvient que Jacques de Guillebon, ce travailleur soi-disant acharné, cet érudit du Verbe, qui passe l'essentiel de ses journées à détricoter des pages entières de l'encyclopédie en ligne, comme j'en apportais la démonstration dans la note de mon article sur l'un de ses ridicules textes, est avant tout ce qu'il était convenu d'appeler, au bon temps où nous louchions sur la copie de nos voisins de classe, un petit copieur et que je nommerais aujourd'hui d'un terme moins amusant : un imposteur. Je ne donne qu'un seul exemple de la similarité entre le texte imprimé dans l'ouvrage de nos deux compères de beuveries consacrées, un passage consacré à Hugo Ball aux pages 235 et 236 où nous pouvons lire les phrases suivantes : «En mai 1917, il rompt définitivement avec ses amis qui voulurent rester dadaïstes contre toute évidence, gagne Bern (sic) où il collabore au Frei Zeitung [j'ai rétabli les italiques, manquantes dans le texte] et publie un livre entamé dès 1915, Critique de l'intelligentsia allemande, où il s'insurge contre la ferveur nationaliste et le militarisme prussien. Trois ans plus tard, il épouse Emmy Hennings et se retire définitivement dans un village suisse. [...] Dès lors, revenu à ses premières amours, il ne s'intéresse plus qu'à l'étude du christianisme des débuts et prépare une vie des saints des Ve et VIe siècles». Voici, en regard, le texte que nous pouvons, à ce jour du moins (et, fort heureusement, Wikipédia conserve toutes les traces des modifications apportées à ses notices), lire sur l'encyclopédie en ligne : «En mai 1917, il quitte Zurich pour Berne et rompt définitivement avec les dadaïstes pour une activité journalistique (collaboration avec Die Freie Zeitung (Le Journal libre)) et politique. Reprenant un ouvrage commencé en 1915, il publie Critique de l'intelligentsia allemande contre la ferveur nationaliste et le militarisme prussien. En 1920, il épouse Emmy Hennings et se retire dans un village suisse. Dès lors, il ne s'intéresse plus qu'à l'étude du christianisme des débuts et prépare une vie des saints des Ve et VIe siècles». Par charité chrétienne, évidemment, et surtout parce que nous savions qu'elle nous aurait pris des heures, nous n'avons pas mené notre modeste enquête de comparaison plus loin mais il est évident que le lecteur soucieux de probité pourra s'amuser à comparer des pages entières de l'ouvrage de nos deux éminences cardinalices avec les notices que Wikipédia consacre aux auteurs qu'ils évoquent, comme par exemple Germain Nouveau (cf. p. 196) où, une fois de plus mais sans doute pas la première ni la dernière, la comparaison entre le texte imprimé et celui mis en ligne est pour le moins édifiante. Il est vrai que nos deux cacographes peuvent facilement donner le change, puisque leur propre texte se distingue suffisamment du texte, réputé fort peu sûr, de Wikipédia, par la seule présence d'une quantité réellement miraculeuse de fautes et d'incorrections en tout genre, dûment relevées sur mon exemplaire.
Je pourrais enfin, mais à quoi bon, m'amuser du fait que nos ombrageux petits copieurs semblent ne goûter que les thèses de jeunes femmes (cf. pp. 176 et 220) sur des sujets pour le moins affriolants de précision universitaire, et ainsi me demander si, selon les propres termes dont ils ont flanqué le pauvre Gauguin, ils n'ont pas puisé leur savoir tout relatif dans quelques «gynécées de vahinés» (p. 218).