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10/12/2019
La Terreur d'Arthur Machen
Arthur Machen dans la Zone.
La nouvelle intitulée La Terreur, écrite par Arthur Machen en 1917, peut être rapprochée de l'un des textes les plus fameux de l'auteur, Les Archers, publié, lui, le 29 septembre 1914 dans l'Evening Standard et qui fut l'une des sources les plus probables de la légende des Anges de Mons, sur laquelle cette page Wikipédia rédigée en anglais, fournit les principales caractéristiques.
La traduction française par Jacques Parsons de ce texte aussi célèbre qu'a priori anodin s'étend sur moins de cinq pages de notre édition (1) mais la brièveté de cette nouvelle est sans commune mesure avec la légende (et ses prolongements jusqu'à notre époque) qu'elle a fait naître selon toute vraisemblance.
C'est peut-être même cette brièveté, cette efficacité, qui sont à l'origine de la légende évoquant une légion d'anges venus prêter main-forte aux soldats anglais en mauvaise passe face aux troupes allemandes durant la Première Guerre mondiale.
Quoi qu'il en soit des phénomènes complexes qui ont conduit un texte littéraire à devenir ce que les sociologues et les experts en sciences criminelles appellent depuis quelques années une légende urbaine, un autre texte de Machen, une longue et splendide nouvelle intitulée La Terreur, semble n'être qu'un long commentaire des Archers, examinant les raisons du basculement d'un texte littéraire dans la légende et ce corpus de récits essentiellement oraux qu'Albert Dauzat, dans un beau livre aujourd'hui complètement oublié intitulé Légendes, prophéties et superstitions de la guerre publié en 1919 aux Éditions La Renaissance du Livre, a étudiés.
Je doute que La Terreur ait été enseignée en guise de modèle, remarquable, de propagande réussie en période de conflit. Elle devrait l'être en tout cas, et par toutes les officines de contre-espionnage. Arthur Machen décrit dans sa longue nouvelle une série de faits étranges qui surviennent dans une Angleterre en guerre contre l'Allemagne, un pays ennemi accusé d'avoir installé, sous la terre anglaise, des bases secrètes depuis lesquelles il distille une terreur implacable dans l'esprit des habitants de l'île réputée imprenable.
La vérité bien sûr, aussi surprenante qu'apocalyptique, n'aura strictement rien à voir avec les capacités allemandes à mettre sur pied un plan de guerre psychique sans faille mais ce point nous importe peu, de même que l'analyse que nous pourrions tirer des présupposés théologiques de Machen qui le font parvenir à une conclusion dont l'effet a été savamment distillé par notre grand maître du crescendo.
En quelques mots présentée, cette conclusion évoque une fin du monde possible traitée sous un angle pour le moins original puisqu'elle imagine une révolte des animaux contre l'homme déchu de sa grandeur, lui qui a quitté depuis «des siècles [...] sa robe royale et a essuyé sur sa poitrine le chrême qui l'a consacré» (p. 271).
Cet aspect-là de notre texte nous semble quoi qu'il en soit bien moins important que l'étude consacrée à la thématique du secret (l'un des mots les plus employés par Machen dans ce texte, avec ceux d'énigme et de mystère) et, aussi, mais ce point découle du précédent, les façons de le transmettre puis de le percer à jour.
L'oralité, à ce titre, est une des dimensions essentielles de la nouvelle de Machen, comme elle l'était dans Le Grand Dieu Pan, le titre le plus connu de l'auteur qui fut traduit par Paul-Jean Toulet, non sans que ce dernier n'en subisse le charme sulfureux.
Dans La Terreur, nous nous trouvons en temps de guerre : l'auteur cite lui-même (cf. p. 190) la légende de Mons qu'il a contribué à créer ou même créée de toutes pièces et il s'attarde longuement sur les vecteurs de la terreur, qui sont les conversations des habitants, puisque la censure du gouvernement veille pour que rien ne filtre de ce qui se produit dans plusieurs régions reculées de l'Angleterre. À vrai dire, les dirigeants anglais, selon toute vraisemblance, ne comprennent pas ce qui survient dans leur propre pays et l'imposition de la censure la plus stricte peut dès lors être comprise comme un paravent masquant une criante incompétence, aussi bien scientifique que militaire.
Quoi qu'il en soit, cette oralité est tellement puissante, nous dit Arthur Machen, que le récit des événements survenus «en sera secrètement transmis de père en fils, deviendra plus insensé à chaque génération, sans jamais réussir cependant à dépasser la vérité» (p. 268), cette vérité qui nous sera dévoilée à la fin du texte, à condition que nous ne nous laissions pas abuser par l'ambivalence, nous le verrons, de ce qui sera révélé, au sens apocalyptique du terme.
La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
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