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28/12/2019
La fausse parole d'Armand Robin
Études sur le langage viciés.
Ce texte a paru le 28 février 2011, avant d'être reproduit sur le site Unidivers.
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«Une coagulation de tout le réel en des grottes mortelles, une gélification de toute la vie en féeries glaciales, en stalagtites [sic] et stalagmites aux effrangements desquels bouge en un va-et-vient de halos inquiétant on ne sait quelle matière extra-humaine, voilà ce qui, à travers ces gigantesques épandaisons de mots, me semblait universellement tenté.»
«Inlassablement, jour et nuit, l’appareil jette contre le cerveau un gigantesque chaos de nouvelles; or on dirait que jamais rien n’est dit et que ce qui est dit n’est jamais rien; il n’y a plus d’événement; l’auditeur se trouve devant une universelle absence de véritables nouvelles, devant une mondiale «ananguélie»; tout se passe comme si une muetteté encore inentendue s’allongeait peu à peu sur tout pays, masquée jour et nuit, sans une seule seconde d’interruption, par un tumulte orgueilleux.»
Tous ces petits blogueurs insignifiants, tous ces journalistes laborieux, tous ces auteurs qui font leur livre comme on fait d'autres choses nous poissent les oreilles et les yeux de leurs textes si peu virils et malodorants.
Renaud Camus, Gabriel Matzneff, tant d'autres d'un âge moins vénérable mais tout aussi bavards, qu'ils se taisent, qu'ils cessent de se contempler dans le miroir pitoyablement ridicule que leur tendent quelques polichinelles faits femmes, hommes, lecteurs de si basse extraction qu'ils en oublient de protéger leurs auteurs contre leurs propres démons infantiles.
Qu'ils se taisent, afin que, s'oubliant, ils puissent accéder à cette «non-langue de toutes les langues», afin que, laissant de côté quelques minutes leur langue gonflée d'eux-mêmes, leur écriture poissée à force d'éjaculer l'éternelle ritournelle de leur petite personne, ils puissent goûter aux «merveilleuses bamboches où plus rien [d'eux] ne [les] espionne» qui fut l'unique but du poète et écrivain Armand Robin.
C'est mon troisième songe, lequel ne concerne pas directement la littérature (le premier, le deuxième), dans lequel je me suis enfoncé très profondément. Je ne vois presque plus rien de la lumière qui, là-haut, très loin au-dessus de ma tête, n'est plus qu'une minuscule lueur, encore plus faible que les étranges scintillements qui éclairent, comme des fantômes recouverts de pierreries lumineuses, les profondeurs noires et glacées, cependant pas vides de monstres qui jamais ne recevront de nom.
Suis-je assez profondément enfoui pour m'oublier ? Suis-je assez fort pour retenir ma respiration et, après, paraître dans les premières lueurs en «danseur titubant, en sobre ivrogne exécutant les figures du non-moi» ?
Sans doute peut-on mesurer la déchéance intellectuelle profonde qui caractérise notre époque au fait que ses élites semblent avoir oublié (si tant est qu'elles l'aient jamais connu, je songe à quelques-uns de mes professeurs de journalisme) un ouvrage aussi profondément juste et impressionnant, sur le sort du langage en temps hyper-médiatiques, que La fausse parole, publié en 1953, près de vingt ans après le retour, pour le moins profondément désenchanté, de son auteur d'URSS.
Il est vrai que cet ouvrage déroutant, fulgurant même, poétique au sens où ses analyses ne sont pas d'ordre linguistique comme celles que Klemperer rendit familières dans son étude magistrale sur la langue du Troisième Reich rebaptisée LTI, avait de quoi indisposer la majorité des intellectuels qui, dans les années 50, n'avaient de cesse de haler leurs figures pâles au soleil rouge qui, pour des dizaines de millions de Russes et d'autres nationalités, signifia une mort assurément plus rapide que celle que provoque un cancer de la peau.
La suite de cet article figure dans Le temps des livres est passé.
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