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28/08/2008

Béni soit Juan Asensio !, par Christopher Gérard

Illustration : Revue Science/AAAS.


Je reproduis, avec la permission de l'intéressé, ce compte rendu de Maudit soit Andreas Werckmeister ! rédigé par Christopher Gérard pour le numéro d'été de la revue Éléments.

Juan Asensio, alias Stalker sur la toile, a ceci de nietzschéen qu’il vomit les tièdes. Son dernier livre se place, comme les précédents, dans la lignée Bloy-Bernanos-Boutang : l’écrivain cravache et agonit d’injures tous ceux qu’il soupçonne de pactiser avec le nihilisme ambiant – et ils sont légions, ceux qu’il appelle les cacographes ! Ce critique à la désespérante érudition, qui jongle avec Steiner (Georges, pas Rudolf), Broch et Celan, s’essaie pour la première fois à la création pure, du moins dans la première partie, vraiment réussie, de son inclassable ouvrage (pamphlet ?), où l’on suit, halluciné, le dernier homme, survivant d’un monde dévasté, déambulant dans une gigantesque salle d’autopsie et contemplant le cadavre desséché de notre littérature. Ses lecteurs reconnaîtront le goût très hispanique d’Asensio pour les scènes tour à tour apocalyptiques (maelström, trou noir) ou macabres, ainsi que des vues justes sur la fonction théophanique de la littérature. Ils reconnaîtront au passage l’influence de La Route, de Cormac Mac Carthy, chef-d’œuvre dont Asensio a magnifiquement parlé sur son site. Pour ce chrétien intransigeant, la littérature doit se libérer de l’infection idéologique qui la ronge jusqu’à l’os et corrompt la langue même. A rebours de l’étouffant matérialisme, il en appelle à un retour aux sources orphiques de la création et, pour la critique, à la redécouverte d’une vertu cardinale en art, aujourd’hui diabolisée : l’admiration. Asensio s’inscrit dans un courant encore minoritaire de reconquista spirituelle et intellectuelle, où l’on trouve aussi Millet, Barthelet ou Werner, pour citer des auteurs d’essais parus cette saison. Suivons-le avec attention, même si nous n’approuvons pas toutes ses fulminations, par exemple quand il regrette que la langue française n’ait «pas été épurée de ses fictions les plus dangereuses», ou quand il affirme que notre littérature se meurt – ce qui est faux, elle vit dans la clandestinité – parce qu’elle se serait éloignée de ses «fondements chrétiens». C’est oublier un peu vite Homère, Sophocle et Virgile, les pères de notre tradition. Curieux chrétien que cet Asensio : la charité ne l’inspire pas outre-mesure et la vertu d’espérance lui est étrangère. Or, pour faire allusion à un poète infréquentable, le désespoir n’est-il pas une forme de sottise ?
Pas de panique, Asensio, pasaremos.