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30/03/2008
Éric Marty, le dernier des Justes ? Sur Bref séjour à Jérusalem
Décidément, il doit y avoir quelque chose de pourri dans le royaume de papier du Monde pour que l’un de ses collaborateurs, Éric Marty, se sente l’obligation d’écrire un livre tel que Bref Séjour à Jérusalem, sorte de manifeste contre l’aveuglement dont le grand quotidien a très souvent fait preuve, et continue de faire preuve, sur le drame du conflit entre Palestiniens et Juifs. L’exercice tient en effet de la gageure, à moins qu’il ne s’agisse, plus sombrement, de schizophrénie puisque l’auteur tente, dans ce livre qui est en fait un recueil de textes d’intérêt inégal (celui qui a le moins retenu notre attention étant le premier, qui a donné son titre au volume), de pourfendre la massive propagande pro-palestinienne qui, patiemment mais de façon inébranlable, veut nous faire haïr Israël, veut faire de l’ensemble des Juifs de coupables criminels, transforme même celles et ceux qui furent victimes de l’horreur nazie en ses plus fidèles zélateurs. Cette logique ignoble, mélange de pacifisme bêlant et d’antisémitisme viscéral alimenté par la curieuse alliance entre intérêts gauchistes et monde musulman (en premier lieu, celui même de nos banlieues dont le poids semble paralyser nos élus), est habilement démontée par Éric Marty. L’exercice auquel se livre l’auteur n’est heureusement pas nouveau puisque Raphaël Draï avec Sous le signe de Sion ou encore Shmuel Trigano avec Démission de la République ont déjà largement disséqué les symptômes de ce cancer qui paraît décidément incurable, qui patiemment gangrène la France, cancer et pourriture qu’il faudra bien, un jour, se décider à combattre et vaincre si l’on ne veut pas que notre pays crève ignoblement, amputé de sa tête et de son cœur.
L’originalité du livre de Marty est néanmoins bien réelle puisqu’il donne de l’antisémitisme français contemporain deux raisons principales qui l’une et l’autre ont trait au langage. La première, exposée dès l’Avant-propos du livre, évoque le fonctionnement de nos médias, parfaitement incapables, dans leur immense majorité, de proposer un discours rigoureux et étayé qui ne serait pas une dangereuse condamnation d’Israël au profit de Palestiniens présentés comme de tendres enfants de chœur. Les dérives partisanes du Monde diplomatique sont ainsi pointées, ce qui ne peut guère étonner le lecteur de ce journal qui n’est plus, depuis déjà quelques années, qu’un concentré caricatural dans lequel macèrent une poignée d’intellectuels partisans d’un retour à l’éden communiste duquel le règne démoniaque de la Marchandise aurait été définitivement aboli. A la place, donc, d’un discours que nous serions en droit d’attendre objectif, à tout le moins honnête et conscient de ses lacunes, Marty nous affirme sans peur que ce que Le Monde nous propose, mais aussi d’autres médias, c’est tout simplement, ni plus ni moins, une série de mensonges, par exemple sur les torts prétendument israéliens ayant déclenché la seconde Intifada. Dans ce cas comme dans d’autres (je songe au massacre de Sabra et Chatila curieusement expliqué à l’aide des catégories popularisées par René Girard), il s’agit, nous dit Marty, de substituer un discours, le faux, à un autre, le vrai, en faisant croire, systématiquement, que les Juifs sont coupables de l’embrasement du peuple palestinien ou des bombes humaines qui les déciment. Cette logique réellement malfaisante qui à la place de la réalité érige le simulacre fut, en son temps et à propos du pouvoir du langage ultra-médiatique de la propagande, patiemment analysée par Karl Kraus comme l’explique un beau livre d’André Hirt, ensuite par Victor Klemperer ou encore le remarquable ouvrage d’Armand Robin intitulé La Fausse Parole, consacré à la dissection de la propagande communiste.
La deuxième explication, la plus profonde et, bien sûr, celle qui nous importe, concerne la racine métaphysique de la haine à l’encontre d’Israël. Une fois de plus, Éric Marty, sur les brisées de George Steiner qu’il ne cite pas, ne craint pas d’écrire que la haine du Juif, déclarée lorsqu’il s’agit d’un Céline ou dissimulée dans le cas de nos professeurs de vertu, est en fait une haine de l’origine : «L’un des scénarios [l’auteur reste prudent en ajoutant «et pas le moindre»; nous sommes à l’évidence plus catégorique] de la guerre que livrent les Palestiniens aux Israéliens a pour noyau métaphysique l’effacement absolu de l’être-juif en tant qu’insupportable rival parce que dépositaire de l’origine» (45). Et dès lors, dans une logique inébranlable qui est très certainement celle de l’enfer, l’auteur ne peut que nous rappeler que cette haine contre Israël est immémoriale et que, même si elle semble, comme durant la collaboration – dont le lent poison bien évidemment agit encore, et pour longtemps, dans les veines fatiguées de notre pays –, avoir retourné le sens commun de nos concitoyens, leur faisant insulter le juste et défendre le chien d’une façon qui reste toutefois bien mollement consensuelle, les disculpant de toute mauvaise conscience, elle n’en tente pas moins, inlassablement, à trotte-menu, d’effacer le nom d’Israël (cf. pp. 50-51) .
C’est à une telle profondeur que l’auteur nous convie lorsqu’il traite de la complexe question de l’antisémitisme dans l’œuvre de Jean Genet, dans une belle et intelligente lecture des textes de ce paria des lettres, habilement récupéré par les officines tiers-mondistes pour étayer leur propagande pro-palestinienne. En quelques mots exposée, la thèse de Marty est la suivante : Genet serait la victime, face à Israël, d’une kierkegaardienne angoisse du Bien, puisque la volonté systématique de trahison prônée par l’auteur du Journal du voleur le conduirait à se ranger, mais en apparence seulement, du côté du plus faible, l’Arabe donc, lâchement opprimé. En fait nous dit Marty, Genet sait bien, au fond de son cœur, qu’en attaquant Israël il se rend odieux au Bien et que, de ce sentiment, il va retirer une profonde jouissance, un plaisir littéralement diabolique. Cette interprétation rigoureuse et convaincante, cet exercice de lecture bien mené a le mérite d’arracher Genet, je l’ai dit, aux thuriféraires qui ont fait de l’écrivain le chantre de la cause palestinienne. Cette lecture, faut-il le préciser, nous montre également quelle doit, ou plutôt quelle devrait être la mission du critique, assurément religieuse selon le commandement de Pierre Boutang, puisqu’il s’agit, en somme, d’aller tenter de libérer Genet de son enfer et de questionner l’écriture du romancier comme si celle-ci était le masque d’une vérité profonde, quoique voilée, voilée parce que profonde. Marty en est d’ailleurs pleinement conscient lorsqu’il écrit qu’une «métaphysique qui fait du langage le lieu d’une promesse et d’un lien qui déjoue le nihilisme de la domination pure et de la perversion, a d’une certaine manière pour abri, qu’elle le sache ou non, le nom d’Israël» (24-5). Ainsi l’auteur confère à l’œuvre de Jean Genet, après Bataille et Sartre et avec plus de réussite que ces derniers, une dimension mystique, même retournée, qui nous semble évidente pour qui sait lire .
Ce texte figure dans son intégralité (avec son apparat critique) dans mon ouvrage intitulé La Critique meurt jeune, publié par les éditions du Rocher.
Sans autre indication, les pages entre parenthèses renvoient au livre d'Éric Marty, Bref séjour à Jérusalem (Gallimard, 2003).
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